Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position, l’on tire d’un pays plus et plus aisément que par aucune autre ; mais cette considération, tout imposante qu’elle est, n’est que secondaire. Il vaut mieux que la terre produise un peu moins et que les habitants soient mieux ordonnés. D’après tous les mouvements de trafic et d’échanges, il est impossible que les vices destructeurs ne se glissent pas dans une nation. Le défaut de quelques convenances dans le choix du terrain peut se compenser par le travail, et il vaut mieux mal employer les champs que les hommes. Du reste, tout cultivateur peut et doit faire ce choix dans les terres, et chaque paroisse ou communauté dans ses biens communaux, comme il se dit ci-après.

On craindra, je le sens, que cette économie ne produise un effet contraire à celui que j’en attends ; qu’au lieu d’exciter la culture elle ne la décourage ; que les colons, n’ayant aucun débit de leurs denrées, ne négligent leurs travaux, qu’ils ne se bornent à leur subsistance, et que, sans chercher l’abondance et contents de recueillir pour eux l’absolu nécessaire, ils ne laissent au surplus leurs terres en friche. On paraîtra même fondé sur l’expérience du gouvernement génois, sous lequel la défense d’exporter les denrées hors de l’île avait exactement produit cet effet. Mais il faut considérer que sous cette administration l’argent était de première nécessité, au moins l’objet immédiat du travail, que, par conséquent, tout travail qui ne pouvait en produire était nécessairement négligé ; que le cultivateur, accablé de mépris, dé misère, de vexations, regardait son état, comme le comble du malheur ; que, voyant qu’il n’y pouvait trouver les richesses, il en cherchait quelque autre ou tombait dans le découragement. Au lieu qu’ici toutes les bases de l’institution tendent à rendre cet