Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/264

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S58 FRAGMENTS

hommes qu’à leur donner des égaux. On les rabaisse en élevant à leurs côtés tant de faibles talents, et le vrai mé- rite, oublié ou confondu dans la foule, s’indigne de voir prodiguer au vulgaire un prix qui n’est dû qu’à lui.

Le hasard rassemble-t-il trois hommes lettrés dans une petite ville, aussitôt on érige une académie de vingt ou trente membres, dont ces trois font toute la substance. Cependant les lettrés meurent, l’académie subsiste, et, vide également d’esprit et de savoir, les trente savants n’y man- quent pas plus que les dix généraux manquaient dans Athènes !

Combien l’état d’homme de lettres, jadis si honorable, est avili aux yeux du peuple, depuis qu’il a vu de près ceux qui le remplissent I Le nom de poète, nom jadis vénérable et sacré, est une injure de notre temps, et à peine un homme qui veut conserver une sorte de dignité ose-t-il s’avouer auteur ; d’où naît ce mépris et cette ignominie ? vérité ! quand notre intérêt ne sera rien devant toi, que deviendra l’orgueil littéraire ? que peut penser le peuple de toutes les académies en observant ce qui se passé dans . celles qui sont à sa portée : il voit avec étonnement des troupes d’imbéciles devenir des sujets académiques et les honneurs littéraires prodigués .

S’il faut des sociétés littéraires (question que je n’ai pas à résoudre et que je ne veux pas agiter), il est sûr du