Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/270

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214 FRAGMENTS

vailler à faire prospérer TÉtat ; qu’ils ne font pas l’essence de sa prospérité ; car je ne crois pas que, pour montrer le bonheur d’une nation, aucun homme se soit jamais avisé d’avancer en preuve qu elle est composée d’ouvriers et de marchands, et, quand même je conviendrais que les ou- vriers et les marchands y sont nécessaires pour fournir aux besoins publics, il ne s’ensuivra jamais de là que la nation soit heureuse, puisqu’on peut démontrer, comme je le ferai dans la suite, que le commerce et les arts, en pourvoyant à quelques besoins imaginaires^ en introdui- sent un beaucoup plus grand nombre de réels.

On me dira peut-être que les arts, les manufactures-et le commerce n’ont pas tant pour objet les commodités parti- culières des citoyens que d’enrichir l’État, soit par l’intro- duction de l’argent étranger, soit par la circulation de celui qui s’y trouve ; d’où il faut conclure que tout le bonheur d’un peuple consiste à être riche en espèces ; c’est ce qui me reste à examiner.

L’or et l’argent, n’étant que les signes représentatifs des matières contre lesquelles ils sont échangés, n’ont propre- ment aucune valeur absolue, et il ne dépend pas même du souverain de leur en donner une ; car, lorsque le prince ordonne par exemple qu’une pièce d’argent de tel poids et marquée à tel coin vaudra tant de livres ou de sols, il fixe une dénomination dans le cx)mmerce et rien de plus. L’écu vaut alors tant de livres ou le florin tant de sols, très-exactement ; mais il est clair que le prix du sol ou de la livre, et par conséquent celui du florin ou de l’écu, res- tera tout aussi variable qu’il l’était auparavant, et qu’il continuera de hausser ou de baisser dans le commerce, non selon la volonté du prince, mais par de tout autres causes.