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268 LES AMOURS

sentent de même ; Téducation change les noms et les ap- parences, mais le fond des cœurs ne change pas. Or la nature n’a point de moules différents pour les rois et les laboureurs. Revenons à notre histoire.

Ces deux personnes se virent donc, et l’on devine bien ce qui en arriva*. Marcellin revint tout pensif à son village^ et trouva sa fiancée encore plus maussade qu’auparavant. Quelque indifférent qu’il fût sur sa parure et celle de son épouse, il se trouva qu’on oubliait toujours je ne sais com- bien de choses nécessaires, pour lesquelles il fallut faire successivement autant de voyages à Valence, sans manquer jamais d’aller recevoir les commissions de mademoiselle, Claire.

Après la perle de sa protectrice, Claire n’avait point songé à quitter la ville, où elle pouvait vivre commodément de son travail et d’une pension que cette dame lui avait laissée. Durant les courses de Marcellin, elle changea d’a- vis, et, réfléchissant qu’à son âge il était plus convenable de vivre sous les yeux de ses parents, elle prit le parti de retourner chez son père ; aussitôt qu’elle fut à Orival, Mar- cellin n’eut plus rien à faire à Valence.

Claire apprit avec surprise que Marcellin était prêt à se marier. Dans toutes les visites qu’il lui avait faites, il ne lui en avait jamais parlé, et comme elle rie trouvait pas que le ton qu’il avait pris avec elle fût celui d’un homme prêt à en épouser une autre, elle se crut en droit de lui reprocher sa dissimulation ; il lui échappa même quelques larmes qu’elle s’efforça de cacher ; Marcellin s’en aperçut

  • Le véritable amour augmente de part et d’autre les difficultés de la

possession. — Les pays où la débauche règne avec le plus d’excès sont ceux où l’on connaît le moins l’amour. [Nolé de l’Auteur*)