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SUR L’ABBÉ DE SAINT-PIERRE. 309

part ; tant on a à cœur, dans les collèges, le progrès de la véritable vertu I...

c( Les hommes, disait Dryden, ne sont que des enfants de grande taille ; nos inclinations changent aussi bien que les leurs, et nous ne sommes ni moins changeants qu*eux, ni moins insatiables. »

L’abbé de Saint-Pierre ne mettait dans ses écrits que de la raison sans ornements ; son défaut était moins de nous regarder comme des enfants que de nous parler comme à des hommes.

Sa bienfaisance n*était point celle d’un cœur sensible, épris d’un ardent amour pour l’homme ; elle était froide et méthodique comme lui. Il était bienfaisant et il excitait tout le monde à l’être, parce qu’il avait trouvé par ses rai- sonnements qu’il était bon qu’il le fût. L’abbé de Saint- Pierre, bienfaisant et sans passion, semblait un dieu parmi les hommes ; maife en voulant leur faire adopter ses principes, et leur faire goûter sa raison désintéressée^ il se rendait plus enfant qu’eux.

Il avait aimé pourtant, c’est un tribut que l’on doit payer une fois à la folie ou à la nature ; mais quoique cette folie n’eût point porté d’atteinte à sa raison universelle, sa rai- son particulière en avait tellement souffert, qu’il fut obligé d’aller dans sa province réparer, durant quelques années, les brèches que ses erreurs avaient faites à sa fortune.