Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/38

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vée dans le nombre de celles que possédait M. Duchesne et qui lui étaient écrites par Jean-Jacques. Il est probable qu’elle ne fut jamais remise à ce dernier, qui n’était plus en France quand elle parvint à Paris. D’ailleurs M. Duchesne était en droit de présumer, d’après le contenu de cette lettre, que celui qui l’écrivait ne tarderait pas à rejoindre Rousseau. Elle est datée de Lyon, le 4 janvier 1766 :

« Illustre philosophe ! À la fin, je vois du jour. Il y a plusieurs mois que j’ai été tout incertain en quel lieu vous vous étiez retiré, et je ne savais pas comment vous adresser une lettre. En avez-vous reçu une, que je vous écrivais de Livourne avant de m’embarquer pour la Corse ? J’ai été cinq semaines dans l’île ; j’ai beaucoup vu ses habitants. Je me suis informé de tout avec une attention dont vous ne me croyiez pas capable. J’ai connu intimement le noble général Paoli. J’ai des trésors à vous communiquer. Si vous êtes encore autant affectionné aux braves insulaires, que vous l’étiez en écrivant au galant Buttafuoco, vous m’embrasserez avec enthousiasme. Vous oublierez tous vos maux pendant bien des soirs. Je vous ai les plus grandes obligations pour m’avoir envoyé en Corse. Ce voyage m’a fait un bien merveilleux. Il m’a rendu comme si toutes les vies de Plutarque fussent fondues dans mon esprit. Paoli a donné une trempe à mon âme qu’elle ne perdra jamais. Je ne suis plus ce tendre inquiet qui se plaignait dans le val de Travers. Je suis heureux. Je pense pour moi. Vous me recréez.

« Je suis arrivé ici hier ; et ce soir madame Boy de Latour m’a informé que vous êtes à Paris. Je donnerais beaucoup que vous eussiez vu avec quelle joie je reçus cette information ; je prends la diligence de lundi, et je serai