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PENSÉES DÉTACHÉES.

de vous ? Êtres insensibles et morts, ce charme n’est point en vous, il n’y saurait être ; il est dans mon propre cœur, qui veut tout rapporter à lui. Je fuis le commerce des hommes, je m’éloigne de celui qui m’est le plus cher, et ce n’est que dans vos asiles que je puis être en paix avec moi.


Le plus noble des êtres créés est l’homme ; l’homme est la gloire de la terre qu’il habite. Si Dieu se complaît dans quelques-uns de ses ouvrages, c’est certainement dans le genre humain, car tout ce qui est de la nature en nous est admirable ; ce n’est que par son propre ouvrage que l’homme est défiguré.

Voulez-vous connaître l’intérieur d’un homme éclairé, demandez-lui conseil.


Chacun, dît un célèbre auteur, hait la louange lorsqu’il la croit fausse. Il se trompe : plusieurs aiment la louange, moins comme une vérité flatteuse que comme un signe du désir qu’on a de leur plaire, comme un acte de la dépendance où l’on se met d’eux. Peu leur importe qu’on mente, pourvu qu’on les flatte. La bassesse des louanges qu’on leur donne les dédommage de la vérité !…


Ne connaîtrons-nous jamais l’homme ? Jusqu’ici nul mortel n a connu que lui-même, si toutefois quelqu’un s’est bien connu lui-même ; et ce n’est pas assez pour juger de son espèce et du rang qu’on y tient dans l’ordre moral. Il faudrait connaître, outre soi, du moins un de ses semblables, afin de démêler dans son propre cœur ce qui est