Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/57

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simplicité, la frugalité et surtout le bon cœur de Philémon. Vous jugeriez par vous-même des ravages d’une tyrannie constante ; vous verriez l’état affreux où l’on nous a réduits.

Vous sentez trop bien, monsieur, combien il serait essentiel que la constitution fût fixée incessamment ; cependant il est très raisonnable d’attendre votre travail, et de s’en reposer sur votre zèle. Il est juste que vous commenciez par en être content vous-même. Après ce préalable, je m’assure que les suffrages, je ne dis pas seulement ceux de la nation corse et de ses chefs, mais ceux de toute l’Europe, y applaudiront ; mais, monsieur, sans trop vous presser, et sans faire en même temps languir le bien de la société, ne pourrait-on pas jeter des fondements préliminaires par une forme de gouvernement provisionnelle, relative aux principes sur lesquels roulera le nouveau système ?

Ce ne peut être, monsieur, que dans le cas qu’on ne veuille pas attaquer notre liberté que nous vous demandons le sacrifice précieux de votre temps. Si nous n’avons à combattre que les Génois, elle paraît devoir être fixée ; nous devons nous flatter de les vaincre. Il est vrai que notre extrême pauvreté ne nous permettra pas sitôt de les chasser des places maritimes, quand même les Français ne les garderaient pas ; mais avec le temps nous en viendrons à bout. M. de Montesquieu dit très-bien que l’or à la fin s’épuise, mais que la pauvreté, la constance et la valeur ne s’épuisent jamais.

Quant aux troupes françaises qui passent dans notre île, il ne paraît pas, monsieur, que ce soit pour y faire la guerre : je sens, comme je le dois, la justice que vous vou-