Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/70

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tuite, non quant à la subsistance, je ne serai là-dessus à charge à personne, mais quant au droit d’asile, qu’il faut qu’on m’accorde sans intérêt ; car, sitôt que je serai parmi vous, n’attendez rien de moi sur le projet qui vous occupe. Je le répète, je suis désormais hors d’état d’y songer, et quand je ne le serais pas, je m’en abstiendrais par cela même que je vivrais au milieu de vous, car j’eus et j’aurai toujours pour maxime inviolable de porter le plus profond respect au gouvernement sous lequel je vis, sans me mêler de vouloir jamais le critiquer ou réformer en aucune manière. J’ai même ici une raison de plus, et pour moi d’une très grande force. Sur le peu que j’ai parcouru de vos mémoires, je vois que mes idées différent prodigieusement de celles de votre nation. Il ne serait pas possible que le plan que je proposerais ne fit beaucoup de mécontents, et peut-être vous-même tout le premier. Or, monsieur, je suis rassasié de disputes et de querelles. Je ne veux plus voir ni faire de mécontents autour de moi, à quelque prix que ce puisse être. Je soupire après la tranquillité la plus profonde, et mes derniers vœux sont d’être aimé de tout ce qui m’entoure et de mourir en paix. Ma résolution là-dessus est inébranlable. D’ailleurs mes maux continuels m’absorbent et augmentent mon indolence ; mes propres affaires exigent de mon temps plus que je n’y en peux donner. Mon esprit usé n’est plus capable d’une autre application. Que si peut-être la douceur d’une vie calme prolonge mes jours assez pour me ménager des loisirs, et que vous me jugiez capable d’écrire votre histoire, j’entreprendrai volontiers ce travail honorable qui satisfera mon cœur sans trop fatiguer ma tête, et je serais fort flatté de laisser à la postérité ce monument de mon séjour parmi