Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/81

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plus supporter de nouvelles charges pour subvenir aux dépenses de la guerre d’Amérique, on eut recours aux emprunts. Il fallut trouver les moyens de payer les intérêts. Le roi propose l’impôt territorial, qui, en faisant partager à la noblesse une petite partie des charges de l’État, aurait à lui seul couvert le déficit ; les Parlements refusent de l’enregistrer, le roi ordonne et veut forcer cet enregistrement ; les Parlements persistent dans leurs refus et se font exiler et incarcérer, en criant à la tyrannie et en appelant le peuple à leur secours : le peuple mécontent prend leur défense, et la guerre civile éclate dans cette malheureuse Bretagne, qui, après avoir levé l’étendard de la révolte, est plus tard martyre de sa fidélité à son roi et à sa religion.

Les Parlements furent bientôt abandonnés par le peuple, qui leur demandait compte de tous les arrêts qu’ils avaient rendus en secret. Le clergé, qui, pendant plusieurs siècles de ténèbres, avait travaillé et réussi à détruire la religion, n’avait plus la confiance de la nation éclairée, qui se rappelait avec horreur et crainte qu’un roi despote, gouvernant sous l’empire des prêtres et non sous celui des lois, pût, dans une nuit, faire verser impunément le sang de quarante mille citoyens innocents.

Le soldat était las d’obéir à ses chefs, qui n’avaient d’autres titres pour leur commander que des titres de noblesse, dont la plupart étaient acquis à prix d’argent, et honteux de servir dans une armée dont la mauvaise organisation ne permettait pas aux Pichegru, aux Moreau, aux Bernadotte de dépasser le grade de servent. Tous les rouages de la machine politique étaient vicieux, usés, et contraires aux vrais intérêts de la nation.