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PROJET DE CONSTITUTION

toutes parts, que deviendraient-ils ? À la discrétion de tout le monde, ne pouvant dans leur faiblesse faire aucun traité de commerce avantageux, ils recevraient la loi de tous, ils n’auraient au milieu de tant de risques que les profits que personne autre ne daignerait faire, et qui toujours se réduiraient à rien. Que si, par un bonheur difficile à comprendre, ils surmontaient toutes ces difficultés, leur prospérité même, attirant sur eux les yeux de leurs voisins, serait un nouveau péril pour leur liberté mal établie. Objet continuel de convoitise pour les grandes puissances et de jalousie pour les petites, leur île serait menacée à chaque instant d’une nouvelle servitude dont elle ne pourrait plus se tirer.

Dans quelque vue que la nation corse veuille se policer, la première chose qu’elle doit faire est de se donner par elle-même toute la consistance qu’elle peut avoir. Quiconque dépend d’autrui, et n’a pas les ressources en lui-même, ne saurait être libre. Les alliances, les traités, la foi des hommes, tout cela peut lier le faible au fort, et ne lie jamais le fort au faible.

Ainsi, laissez les négociations aux puissances, et ne, comptez que sur vous. Braves Corses ; qui sait mieux que vous tout ce qu’on peut tirer de soi-même ? Sans amis, sans appui, sans argent, sans armée, asservis à des maîtres terribles, seuls vous avez secoué leur joug. Vous les avez vus liguer contre vous, tour a tour, les plus redoutables potentats de l’Europe, inonder votre île d’armées étrangères ; vous avez tout surmonté. Votre seul courage a fait ce que l’argent n’aurait pu faire ; pour vouloir conserver vos richesses, vous auriez perdu votre liberté. Il ne faut point conclure des autres nations à la vôtre : les