Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/90

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Partons de là pour établir les maximes de notre institution.

L’île de Corse ne pouvant s’enrichir en argent, doit tâcher de s’enrichir en hommes. La puissance qui vient de la population est plus réelle que celle qui vient des finances, et produit plus sûrement son effet. L’emploi des bras des hommes, ne pouvant se cacher, va toujours à la destination publique ; il n’en est pas ainsi de l’emploi de l’argent : il s’écoule et se fond dans des destinations particulières, on l’amasse pour une fin, on le répand pour une autre ; le peuple paye pour qu’on le protège, et ce qu’il donne sert à l’opprimer. De là vient qu’un État riche en argent est toujours faible, et qu’un État riche en hommes est toujours fort.

La plupart des usurpateurs ont employé l’un de ces deux moyens pour affermir leur puissance : le premier, d’appauvrir les peuples subjugués et les rendre barbares, l’autre, au contraire, de tes efféminer, sous le prétexte de les instruire et de les enrichir. La première de ces voies a constamment produit un effet contraire à son objet, et il en est toujours résulté, de la part des peuples vexés, des actes de vigueur, des révolutions, des républiques. L’autre voie a toujours eu son effet, et les peuples amollis, corrompus, délicats, raisonneurs, faisant dans l’ignominie de la servitude de beaux discours sur la liberté, ont été tous écrasés sous leurs maîtres, puis détruits par des conquérants.

Pour multiplier les hommes, il faut multiplier leur subsistance ; de là l’agriculture. Je n’entends pas par ce mot l’art de raffiner sur l’agriculture, d’établir des académies qui en parlent, de faire des choses qui en traitent. J’entends une constitution qui porte un peuple à s’étendre