Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/97

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qui appartient à la monarchie, et la noblesse politique, qui appartient à l'aristocratie. La première a plusieurs ordres ou degrés, les uns titrés, les autres non titrés, depuis les grands vassaux jusqu’aux simples gentilshommes ; ses droits, bien qu’héréditaires, sont pour ainsi dire individuels, attachés à chaque famille et indépendants les uns des autres ; ils le sont à la constitution de l’État et de la souveraineté. La seconde, au contraire, unie en un seul corps indivisible, dont tous les droits sont dans le corps, non dans les membres, forme une partie tellement essentielle du corps politique, qu’elle ne peut subsister sans lui, ni lui sans elle, et tous les individus qui la composent, égaux par leur naissance en titres, en privilèges, en autorité, se confondent sous le nom commun de patriciens.

Il est clair, par les titres que portait l’ancienne noblesse corse et par les fiefs qu’elle possédait, avec des droits approchant de la souveraineté même, qu’elle était dans la première classe et qu’elle devait son origine soit aux conquérants maures ou français, soit aux princes que les papes avaient investis de l'île de Corse. Or, cette espèce de noblesse peut si peu entrer dans une république démocratique ou mixte, qu’elle ne peut pas même entrer dans une aristocratie, car l’aristocratie n’admet que des droits de corps, et non des droits individuels. La démocratie ne connaît d’autre noblesse après la vertu que la liberté, et l’aristocratie ne connaît de même d’autre noblesse que l’autorité. Tout ce qui est étranger à la constitution doit être soigneusement banni du corps politique[1]. Laissez donc aux autres

  1. La noblesse suppose la servitude, et chaque serf que la loi souffre est un citoyen qu’elle ôte à l’État. (Note de l' Auteur.)