Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/420

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vous jamais cette extravagance ? Après tant de peines que vous avec prises pour m’obliger, après les preuves d’amitié sans nombre que vous m’avez données, se peut - il que je paye vos services de tant d’humeur & de brusquerie ? Mais en me pardonnant, vous me donnerez une nouvelle marque de votre amitié, & j’espere que lorsque vous verres le fond de mon cœur, vous trouverez qu’il n’en est pas indigne. Je fus extrêmement touché, & je crois qu’il se passa entre nous une scene très-tendre.”

Récit de M. Rousseau.

“Un soir, je vois encore chez lui une manœuvre de lettre dont je suis frappé. Après le souper, gardant tous deux le silence au coin de son feu, je m’apperçois qu’il me fixe, comme il lui arrivoit souvent, & d’une manière dont l’idée est difficile à rendre. Pour cette sois, son regard sec, ardent, moqueur & prolongé devient plus qu’inquiétant. Pour m’en débarrasser, j’essayai de le fixer à mon tour ; mais en arrêtant mes yeux sur les siens, je sens un frémissement inexplicable, & bientôt je suis forcé de les baisser. La physionomie & le ton du bon David sont d’un bon homme ; mais où, grand Dieu ! ce bon homme emprunte - t -il les yeux dont il fixe ses amis ?"

“L’impression de ce regard me relie & m’agite ; mon trouble augmente jusqu’au saisissement : si l’épanchement n’eût succédé, j’étouffois. Bientôt un violent remords me gagne ; je m’indigne de moi-même ; enfin dans un transport que je me rappelle encore avec délices, je m’élance à son cou, je le serre étroitement ; suffoqué de sanglots, inondé de