Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/497

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Voyez jusqu’où s’étend votre égarement ; s’il est permis à l’esprit humain de s’égarer, il ne lui est pas permis de courir jusqu’à la calomnie. Vous y êtes arrivé cependant, & j’ose croire, sans vous en appercevoir. Vous qui craignez tant les suites honteuses de la médisance, pouviez-vous dire, je quittois la Suisse fatigué de traitemens barbares ? Qu’auriez-vous dit de plus en vous échappant de Tunis ou de Salé ; en supposant que vous y eussiez été détenu dans les fers les plus durs & les plus honteux. Traitemens, ajoutez-vous, qui ne nettoient en péril que ma personne, & laissoient mon honneur en sureté. Pour prouver qu’en écrivant cette lettre, vous étiez bien malade, & que vous vous laissiez emporter par les accès du délire ; je vais tracer une légere esquisse de ces traitemens barbares, je démontrerai très-clairement que votre honneur ne couroit en Suisse aucun danger ? & que votre personne y étoit moins en péril que par-tout ailleurs. Vous aviez choisi pour votre retraite Motiers-Travers, l’un des plus sains & des plus beaux endroits des montagnes du Comté de Neufchâtel ; habité, sur-tout en été, par quantité de personnes estimables par leur mérite & leur affabilité. On vous y laissoit vivre à votre fantaisie ; on vous y accueilloit amicalement, & vous y étiez traité avec des égards qui pouvoient chatouiller l’amour-propre d’un Philosophe orgueilleux. Vos rêveries vous conduisoient selon vos souhaits & à pied, jusqu’au plus haut des montagnes voisines, & dans les bois où les charbonniers étoient assez surpris de vous rencontrer si souvent. C’est d’eux-mêmes de qui je tiens cette vérité ; je leur ai demandé ce que vous y faisiez ; je crois, me répondit l’un, qu’il y cueilloit