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Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/122

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ton pour lui répondre ; j’en pris un plus grave, mais non moins fort ; et, sans manquer de respect à l’auteur, je réfutai pleinement l’ouvrage. Je savais qu’un jésuite, appelé le P. Menou, y avait mis la main : je me fiai à mon tact pour démêler ce qui était du prince et ce qui était du moine ; et, tombant sans ménagement sur toutes les phrases jésuitiques, je relevai, chemin faisant, un anachronisme que je crus ne pouvoir venir que du révérend. Cette pièce, qui, je ne sais pourquoi, a fait moins de bruit que mes autres écrits, est jusqu’à présent un ouvrage unique dans son espèce. J’y saisis l’occasion qui m’était offerte d’apprendre au public comment un particulier pouvait défendre la cause de la vérité contre un souverain même. Il est difficile de prendre en même temps un ton plus fier et plus respectueux que celui que je pris pour lui répondre. J’avais le bonheur d’avoir affaire à un adversaire pour lequel mon cœur plein d’estime pouvait, sans adulation, la lui témoigner ; c’est ce que je fis avec assez de succès, mais toujours avec dignité. Mes amis, effrayés pour moi, croyaient déjà me voir à la Bastille. Je n’eus pas cette crainte un seul moment, et j’eus raison. Ce bon prince, après avoir vu ma réponse, dit : J’ai mon compte, je ne m’y frotte plus. Depuis lors, je reçus de lui diverses marques d’estime et de bienveillance, dont j’aurai quelques-unes à citer ; et mon écrit courut tranquillement la France et l’Europe, sans que personne y trouvât rien à blâmer.

J’eus peu de temps après un autre adversaire auquel je ne m’étais pas attendu, ce même M. Bordes, de Lyon, qui dix ans auparavant m’avait fait beaucoup d’amitiés et rendu plusieurs services. Je ne l’avais pas oublié, mais je l’avais négligé par paresse ; et je ne lui avais pas envoyé mes écrits, faute d’occasion toute trouvée pour les lui faire passer. J’avais donc tort ; et il m’attaqua, honnêtement toutefois, et je répondis de même. Il répliqua sur un ton plus décidé. Cela donna lieu à ma dernière réponse, après laquelle il ne dit plus rien ; mais il devint mon plus ardent ennemi, saisit le temps de mes malheurs pour faire contre moi d’affreux libelles, et fit un voyage à Londres exprès pour m’y nuire.

Toute cette polémique m’occupait beaucoup, avec beaucoup de perte de temps pour ma copie, peu de progrès pour la vérité, et peu de profit pour ma bourse. Pissot, alors mon libraire, me donnait