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Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/29

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là : et sitôt qu’ils voulurent parler du fond du système ils ne firent plus que déraisonner. Le plus grand avantage du mien était d’abroger les transpositions et les clefs, en sorte que le même morceau se trouvait noté et transposé à volonté, dans quelque ton qu’on voulût, au moyen du changement supposé d’une seule lettre initiale à la tête de l’air. Ces messieurs avaient ouï dire aux croque-sol de Paris que la méthode d’exécuter par transposition ne valait rien : ils partirent de là pour tourner en invincible objection, contre mon système, son avantage le plus marqué ; et ils décidèrent que ma note était bonne pour la vocale, et mauvaise pour l’instrumentale. Sur leur rapport, l’Académie m’accorda un certificat plein de très-beaux compliments, à travers lesquels on démêlait, pour le fond, qu’elle ne jugeait mon système ni neuf ni utile. Je ne crus pas devoir orner d’une pareille pièce l’ouvrage intitulé : Dissertation sur la musique moderne, par lequel j’en appelais au public.

J’eus lieu de remarquer en cette occasion combien, même avec un esprit borné, la connaissance unique, mais profonde, de la chose est préférable, pour en bien juger, à toutes les lumières que donne la culture des sciences, lorsqu’on n’y a pas joint l’étude particulière de celle dont il s’agit. La seule objection solide qu’il y eût à faire à mon système y fut faite par Rameau. À peine le lui eus-je expliqué, qu’il en vit le côté faible. Vos signes, me dit-il, sont très-bons en ce qu’ils déterminent simplement et clairement les valeurs, en ce qu’ils représentent nettement les intervalles et montrent toujours le simple dans le redoublé, toutes choses que ne fait pas la note ordinaire ; mais ils sont mauvais en ce qu’ils exigent une opération de l’esprit qui ne peut toujours suivre la rapidité de l’exécution. La position de nos notes, continua-t-il, se peint à l’œil sans le concours de cette opération. Si deux notes, l’une très-haute, l’autre très-basse, sont jointes par une tirade de notes intermédiaires, je vois du premier coup d’œil le progrès de l’une à l’autre par degrés conjoints ; mais, pour m’assurer chez vous de cette tirade, il faut nécessairement que j’épelle tous vos chiffres l’un après l’autre ; le coup d’œil ne peut suppléer à rien. L’objection me parut sans réplique, et j’en convins à l’instant : quoiqu’elle soit simple et frappante, il n’y a qu’une grande pratique de l’art qui puisse la suggérer, et il n’est pas étonnant