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Page:Roussel - La Vue, 1904.djvu/174

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Il dévore des yeux sa musique et la suit
De tout près avec une application rare ;
Sans doute il sait peu sa partie ; il accapare
Un pupitre pour lui seul, comme si chacun,
Au lieu de partager à deux, en avait un ;
Il ne pense qu’à son confortable et préfère
Laisser son voisin geindre et se tirer d’affaire ;
Il recherche le plus commode, sans rougir
De prendre tout pour son propre compte et d’agir
En homme épris de sa personne, en égoïste.
Dans un coin, seul de son espèce, un hautboïste
Est à l’écart et sans partenaire, isolé ;
En jouant il fait un visage désolé,
Son instrument le force à s’allonger la mine ;
L’ensemble de l’orchestre échauffé le domine ;
Dans le vacarme un timbre aussi grêle est perdu ;
Le son produit ne peut qu’à peine être entendu
Par lui-même ; d’avance il renonce à la lutte.
Un homme à grande barbe, en soufflant dans sa flûte,
Prend au contraire un air guilleret et joyeux ;