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Page:Roussel - La Vue, 1904.djvu/210

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Le gros adopte des airs de grande importance ;
Il donne son avis, haut, avec insistance,
Prenant auprès des gens mûrs le ton convaincu
D’un homme ayant beaucoup pensé, beaucoup vécu.
Il possède un aplomb splendide, imperturbable,
Et dit plus volontiers : « C’est sûr, » que : « C’est probable. »
Quand on discute, il entre en lice et sur-le-champ,
Ne pouvant rester sans rôle, il choisit son camp.
Bien que jamais personne au monde ne l’écoute,
Il s’entête, il faut qu’il parle coûte que coûte ;
Il élève la voix, risquant des mots d’esprit
Dont seul il goûte la saveur, dont seul il rit ;
Il se croit mis à la plus ravissante mode.
Son ami, maladif, maigre, est son antipode ;
Il reste pendant des heures pleines figé
Par la timidité dont il est afflige ;
Il est embarrassé de ses mains ; quand il bouge,
Il se cogne dans tous les meubles, devient rouge,
Balbutie ; un de ses habituels malheurs
Est de renverser l’eau des vases pleins de fleurs ;