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Page:Routhier - À travers l'Europe, impressions et paysages, Vol 1, 1881.djvu/64

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bien le nom qui convient à cet énorme charriot sur lequel nous sommes juchés quatre de front, et qui conviendrait si bien pour porter des denrées au marché ? Mais qu’importe, quand il fait beau, quand le soleil étincelle, et quand les oiseaux chantent sur les bords du chemin ombreux que nous gravissons ? Déjà nous sommes arrivés sur les premiers sommets, et toutes les sinuosités de notre beau lac Lomond se dessinent à nos pieds. Déjà nous le contemplons une dernière fois à vol d’oiseau, nous comptons ses baies, ses pointes, ses îles, et nous lui faisons nos adieux.

Mon voisin se montre moins tendre et moins ému que nous. Il est au bout du siège étroit, et son cœur est un peu figé par la peur de tomber à chaque instant dans le précipice sur les bords duquel nous courons. J’essaie de le rassurer en lui vantant le point de vue superbe et nouveau qu’il aurait sans doute s’il roulait au fond. Mais une secousse de la voiture qui lui fait pousser un cri l’empêche de m’entendre.

Les arbres ont disparu, et les sommets des montagnes nous apparaissent comme les têtes des vieillards : ils ne sont plus chevelus qu’à la base. Le sol n’est pas nu cependant ; il est couvert de bruyères. La bruyère d’Écosse est un arbuste mignon, ressemblant au bleuet, couvert de jolies petites fleurs violettes qui sont presque immortelles. Quel beau tapis elle étend sur les flancs des monts ! Quelles charmantes nuances, rose, violette, elle déploie ! Mais elle n’est pas seulement jolie, puisque les chèvres la broutent et que les abeilles la butinent.