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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/100

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mauvaise odeur, qui dépendent de la seule manipulation, & non du principe qui est très-pur. Ainsi le sucre fournira d’aussi bon esprit ardent que le vin. Ainsi les premières eaux-de-vie, quoique moins agréables, ne sont pas plus mal-saines que les secondes, & toute espèce la sera toujours si on en abuse.

Si ces eaux de vies étoient nuisibles à la santé, la loi qui veille sans cesse sur celle des citoyens, n’auroit pas permis l’usage des premières dans la Normandie, dans les Évêchés de Bretagne, excepté celui de Nantes ; autrement il faudroit dire que l’estomac des nantois est construit d’une manière différente que celui des autres bretons & des normands ; & ce qui est salubre dans les autres diocèses, change de constitution, devient nuisible dès qu’il franchit l’étroite circonférence des barrières.

II. De la prohibition de ces eaux-de-vie, résulte-t-il une perte réelle pour le cultivateur ?

1°. Des eaux-de-vie de cidre & de poiré. On sait, & l’expérience prouve qu’en Normandie & en Bretagne on y récolte, dans les années d’abondance, beaucoup plus de cidre & de poiré qu’on ne sauroit en consommer. On transporte quelque peu de cidre à Paris ; mais l’entrée du poiré y est interdite & défendue, comme une boisson dangereuse. Il faut donc que tout le cidre & le poiré se consomme dans le pays, puisqu’on n’en exporte point ou presque point à l’étranger ; d’ailleurs, ces liqueurs n’ont pas la propriété de se conserver comme le vin, & pendant les chaleurs de l’été elles aigrissent & poussent. Le propriétaire est donc réduit à la criante extrémité de voir la moitié de sa récolte entièrement perdue pour l’état, & l’autre moitié ne suffit pas pour payer les frais de récolte, de fabrique & de vaisseaux vinaires, parce qu’une année d’abondance (voyez ce mot) lui est plus à charge qu’avantageuse. Le proverbe a raison de dire, abondance n’est pas richesse. Que fait alors le cultivateur ? Plutôt que de tout perdre, il vend ce qu’il peut au plus bas prix : des courtiers de cidre & de poiré les achetent, les mixtionnent afin de les conserver, & ils empoisonnent le public. Ce fait est si vrai, qu’en 1775, le Parlement de Rouen rendit un arrêt par lequel il défend, sous les peines les plus rigoureuses & même afflictives, de dulcifier les cidres par l’addition des chaux de plomb & autres drogues semblables ; enfin, à cette époque, plus de deux cens banques dans la seule ville de Rouen, furent défoncées, & la liqueur coula dans la rue. Si la même visite avoit été faite dans le reste de la Normandie & dans la Bretagne, que de milliers de bariques auroient, avec raison, éprouvé le même sort ! Il est donc clair que si la consommation des eaux-de-vie provenant de ces liqueurs, avoit été moins restreinte, ces courtiers auroient, 1°. acheté plus cher le cidre ; &c. 2°. qu’ils l’auroient converti en esprit, & que le peuple n’auroit pas été & ne seroit pas encore tous les jours, malgré l’arrêt du Parlement, dans le cas d’être empoisonné. Le cultivateur auroit eu une ressource de plus, qui l’auroit aidé à supporter les fortes impositions, sur-tout en Normandie, pays d’Élection.

2°. Des eaux-de-vie de marc. Pour