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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/351

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plantée de ce cépage continue à avoir une supériorité bien marquée sur toutes celles formées ensuite avec les crocettes qu’elle a fournies. De manière, qu’à force de multiplier cette espèce de raisin par crocette, ce qui est une espèce de bouture, on finira par avoir une espèce peut-être détestable, au lieu d’excellente qu’elle étoit. La première cause de cette altération ne tiendroit-t-elle pas à son transport du midi au nord ? En effet, le vin des premières vignes de ces cépages dans le bas-Languedoc, a le goût & même le parfum des bons vins d’Alicante ; malgré cela, il leur est très-inférieur en qualité. La vigne aime les terreins pierreux, caillouteux, exposés à la grosse chaleur du matin & sur-tout du midi. Sans s’attacher à ces considérations, on a, dans un pays où l’on ne court qu’après la quantité, planté ces crocettes dans des plaines, dans, des terreins gras, & l’espèce est dégénérée ; le vin n’offre plus qu’un mélange de doux & d’âpre. Quelle sera donc la qualité de celui qu’on obtiendra des plants que l’on tirera de nouveau d’une telle vigne ? Les plants de vigne les plus cultivés aux environs de Paris, sont les morillons nommés pineaux en Bourgogne, & les mêmes cependant. Il n’existe aucune comparaison entre les vins de Montmorenci & ceux de Nuits, de Beaune, &c. parce que l’espèce portée du midi au nord y a dégénéré : voilà l’effet du climat, & la différence du sol a fait le reste. La même espèce de Bourgogne, portée en Languedoc, donne un vin beaucoup plus spiritueux, mais non pas aussi délicat, & si on multiplioit ce plant sans égard au sol & à l’exposition, il en seroit de celui-là comme de celui d’Alicante, qui en outre à dégénéré à force d’être multiplié par boutures. J’ai goûté à quelques lieues de Paris, du raisin d’un plant venu de Côte-Rotie, c’était en vérité un détestable raisin.

Les causes opposées à celles qui concourent au perfectionnement des espèces, concourent indispensablement à leur dégénération : du blé récolté dans un terrein maigre, & qui aura en outre souffert des rigueurs des saisons, semé sur un sol encore plus maigre, & toutes circonstances égales, doit donner un grain plus chétif, & ainsi successivement. Le même blé, le même légume, perpétuellement semés sur le même champ, dégénèrent à la longue, & l’expérience la plus constante démontre la nécessité du changement des semences d’un lieu à un autre.

II. De la transmutation des espèces naturelles en d’autres espèces naturelles. Avant d’examiner cette question qui a été souvent & longuement discutée dans les différens papiers publiés du temps que l’agriculture étoit de mode, il faut se rappeler la différence qui existe entre ce qu’on nomme espèce naturelle, & ce que j’appelle espèce jardinière du premier ou de second ordre ; alors la question fera bientôt décidée : faute de s’entendre elle est presque restée indécise. Est-il possible que le froment se métamorphose, par exemple, en avoine ? Je réponds décidément non. On ne connoît pas le vrai type du premier, & il est sans doute lui-même ce type par excellence. Voyez ce qui est dit au mot Blé. Admettons-le donc pour une espèce naturelle qui a fourni, par la culture, une prodigieuse quantité d’espèces jar-