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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/510

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douceur & elle se conserveroit trop long-temps.

L’usage du moût bouillant pour accélérer la fermentation est ancien dans quelques cantons du royaume : il a été employé avec succès en 1740, & dans les années froides, celui du moût bouilli est plus rare, ou du moins il le paroît davantage, parce que les vignerons ont toujours eu grand soin de s’en servir en cachette, attendu que ces bonnes gens appeloient cette manipulation frelater le vin. En Corse, dans plusieurs endroits d’Italie, en Grèce, &c. l’usage y est établi de temps immémorial, & même dans certains endroits on fait cuire tout le moût. Dans un Mémoire envoyé en 1766, au concours proposé par la Société d’Agriculture de Limoges, j’avois indiqué ce correctif ; mais M. Maupin lui a donné la publicité qu’il méritoit, & il est enfin parvenu à faire adopter cette méthode dans plusieurs provinces où elle étoit inconnue ou trop négligée. On lui doit de la reconnoissance pour le service qu’il a rendu. Dans le commencement, cet auteur se contentoit de proposer quelques chaudronnées de moût bouilli & bouillant pour chaque cuvée ; petit à petit l’expérience lui a appris qu’on pourroit faire bouillir un vingtième, un dixième, un sixième & même jusqu’à un cinquième sans nuire à la qualité du vin, & même que cette addition augmentoit la qualité relativement au plus ou au moins de maturité du raisin. Il est constant que les vins de nos provinces du nord doivent gagner beaucoup par l’addition de ce moût cuit, puisque le principe sucré est plus rapproché, & que l’aquosité surabondante est évaporée par l’opération. Il ne faut pas croire que l’ébullition crée aucun des principes du vin, elle les développe seulement en mettant leurs parties plus à nu. Souvent, dans nos provinces du nord, la maturité du raisin est quelquefois si complète, qu’une partie des grains de la même grappe a changé de couleur, qu’elle paroît mûre, tandis que l’autre est encore verte ; que l’on y trouve une grappe mûre & l’autre qui ne l’est pas du tout. Il est donc clair que le vin à retirer de ces raisins ne peut jamais être de qualité, & qu’il vaudroit mieux que le sol eût été chargé d’épis que couvert de vignes : mais il faut du vin, & malgré son peu de qualité, il est toujours fort cher ; alors le propriétaire fait porter à son sol ce qui rend le plus, & c’est dans l’ordre.

Il arrive par fois que les vins provenus de ces raisins verts ou très-incomplètement mûrs, & chargés de moût bouilli, sont plus agréables, plus moelleux, & même en général beaucoup meilleurs que ceux du canton, si on les goûte avant noël & avant pâques ; mais j’en ai vu plusieurs qui ont absinthisé, c’est-à-dire, qui ont pris un goût très-sort d’amertume lorsqu’ils ont éprouvé les chaleurs de l’été. Ces exceptions, peut-être dépendantes de causes différentes, ne doivent pas empêcher l’usage du vin bouilli. M. Maupin ne se contente pas de le louer avec raison, il recommande encore « de faire bouillir une certaine quantité avec le moût, environ la trentième & quelquefois la quarantième partie de ce que la totalité de la cuve pourra rendre en vin, c’est-à-dire, un seau de raisin bouillant pour trente ou quarante de vin. Dans