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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/563

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semblent nous reprocher nos injustices. Avant la religion chrétienne, ces ames n’avoient pu passer la barque fatale de Caron, faute de salaire, ou parce que leurs corps gissoient sans sépulture : depuis la religion chrétienne, ces flammes sont des ames condamnées au supplice éternel, qui vont rôder par-tout, & qui, étant excommuniées, conservent toute leur malice, & ne reviennent du séjour des morts que pour tourmenter les vivans.

Quelquefois il paroît une petite flamme ou une lumière sur la tête des enfans, sur les cheveux des hommes, sur la crinière des chevaux, &c. Le peuple, à qui il étoit impossible d’en deviner la cause, saisi de crainte & de respect, a attribué tout de suite le sujet de sa terreur à un esprit familier qui annonçoit sa protection & sa présence, en venant partager nos soins.

Le voyageur, non moins crédule, & souvent plus craintif encore, arrivé dans un lieu écarté & marécageux, au commencement d’une nuit qui suit un beau jour où le soleil brûlant a lancé tous ses rayons, voit voltiger sur ces bas-fonds de petites flammes qui, obéissant aux moindres impressions de l’air, vont, viennent, avancent, reculent, s’élèvent & retombent avec l’air qui les porte. Frappé de cette apparence, s’il recule, s’il fuit, le vide qu’il forme derrière lui se remplit, la masse d’air environnante s’y précipite, & entraîne avec elle la flamme lumineuse qui, suivant ce courant, semble le poursuivre. Affecte-t-il, au contraire, un courage, une intrépidité présomptueuse ; va-t-il au devant du feu follet ? la masse d’air qu’il pousse, qu’il chasse devant lui, emporte avec elle la flamme, qui paroît par-là marcher en avant, & le guider. Le hasard fait-il que le voyageur s’égare & se précipite dans quelques bas-fonds ou lieux marécageux, en suivant ces apparences lumineuses ? le hasard qui, pour le peuple crédule, est un être réel & puissant, se convertit ici en génie malfaisant, & le feu follet est un mauvais esprit qui trompe le malheureux voyageur, l’égare, l’attire dans des endroits dangereux, & se moque ensuite de son erreur.

Le nautonier, aussi superstitieux lorsqu’il voit le danger éminent, & une tempête affreuse menacer sa tête, apperçoit-il des flammes, des aigrettes lumineuses à l’extrémité de ses mâts, se croit protégé immédiatement par les Dieux, & reprend toute sa confiance, tandis que le paysan, témoin du même phénomène au-dessus de son clocher, ou des tours d’un vieux château abandonné, s’imagine voir le diable qui vient ravager ses récoltes, & détruire toutes ses espérances.

Rien cependant n’est plus naturel que toutes ces apparences lumineuses, & elles dépendent de deux causes principales, le dégagement & la déflagration de l’air inflammable, & la présence d’une surabondance du fluide électrique.

I. Feux follets produits par le dégagement de l’air inflammable. Au mot Air inflammable, nous avons vu que la nature en produisoit une très grande quantité dans les endroits où les substances animales & végétales entroient en putréfaction, & se décomposoient : la fermentation qu’elles éprouvent dans ces momens dégage