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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/761

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sans que toutes ses parties n’en acquièrent en même temps, les yeux ou boutons hâtent leur développement & gagnent une année, & voilà comment ils se mettent à fruit pour les années suivantes.

Si au contraire le gourmand a déjà de la consistance, s’il est déjà ligneux, on ne peut plus pincer, la serpette devient nécessaire, on raccourcit ; mais les yeux qui restent ne se développent pas, ou du moins ceux qui dardent, sont maigres & fluets, tandis que l’œil supérieur s’approprie toute la force de la séve, & s’emporte presqu’avec autant de vivacité que le premier gourmand. Cette différence vient de ce que dans le bois déjà formé, la séve trouve déjà la charpente remplie, & ne peut dans ses interstices y déposer les parties terreuses & salines qu’elle contient ; tandis que, dans le gourmand supposé encore tendre, le tissu n’est, pour ainsi dire, qu’aqueux, que mucilagineux, dans lequel le résidu terreux de la séve trouve à se loger, s’y loge en effet, & remplit les mailles de son tissu, & lui fait acquérir proportionnellement plus de grosseur que si, au mois de juillet ou d’août, on eût rabaissé le gourmand avec la serpette.

Le pincement contraint la partie inférieure du gourmand pincé, à produire des bourgeons, dès-lors la nourriture se partage entre la mère & les enfans, tout reste soumis à l’ordre & ne s’emporte plus ; mais ce pincement dérange l’ordre général de la végétation de l’arbre, puisque toutes les parties sont correspondantes les unes aux autres, de la même manière qu’elles le sont dans le corps humain ; ainsi, plus l’on multiplie le pincement, plus l’on multiplie les efforts locaux, & on diminue d’autant la force générale de l’arbre. L’expérience de tous les jours apprend que plus un arbre livré à lui-même est vigoureux, & plus il donne de bois, qu’à mesure que la pétulance de sa séve se modère, le nombre des boutons à fruit augmente en proportion de la diminution des boutons à bois ; enfin, dans la suite, lorsqu’il approche de sa vieillesse, il n’est presque plus couvert que de boutons à fruit. Le pincement multiplié métamorphose donc de jeunes arbres en vieillards prématurés.

Si on pince sur un bourgeon foible, on obtiendra le même effet que sur le gourmand, avec cette différence que les yeux de celui-là s’ouvriront & donneront des jets amaigris & devenus chiffons par leur multiplication & par leur rapprochement. Dès-lors que doit-on penser de la conduite de ces amateurs de la ligne droite, qui veulent que la surface de leurs pommiers, de leurs poiriers taillés en éventail, soit, dans tous les temps de l’année, aussi égale que celle d’une palissade de charmilles ? Sans cesse la serpette à la main, ils coupent, ils rognent, retranchent ; & une feuille tremble & craint de dépasser sa voisine sans la permission du propriétaire.

On dit communément, je pince, parce que mes arbres sont trop vigoureux ; ils se chargent de trop de bois, ils ne se mettent pas à fruit, &c. À qui en imputer la faute, à l’arbre ou à celui qui les taille ? au dernier ; c’est le mot. Pourquoi s’emportent ces arbres, c’est que les branches,