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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/123

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Section V.

Du Blé-noir de Tartarie ou de Sibérie.

M. Martin a été le premier qui ait voulu remettre en vigueur la culture de ce grain, & il fit annoncer ses succès dans les papiers publics de l’année 1782 ; il espéroit que dans quelques années on n’en cultiveroit pas d’autre en France, & qu’il seroit susceptible d’être cultivé dans les positions les plus chaudes, même de la Provence. Von-Linné le nomme poligonum tartarinum, & Tournefort sagopyrum erectum.

Il diffère du sarrasin ordinaire par la couleur plus jaunâtre de sa tige ; ses bouquets plus alongés, moins rassemblés en tête ; les angles de ses semences sont égaux ; la semence est moins grosse ; les fleurs très-petites ; les tiges sont assez dures pour résister & n’être pas meurtries & couchées par des coups de vent.

M. Curaut, dans une lettre insérée dans le Journal d’Orléans, & adressée à M. Couret de Villeneuve, imprimeur du roi dans cette ville : après avoir cultivé ce blé-noir qu’il appelle blé-martin, s’exprime ainsi :

M. Martin, dans ses ouvrages périodiques, expose les avantages de ce grain sur le blé-noir ordinaire. Ce grain est à peu près de la forme de celui de cette province ; on peut le semer depuis le mois d’avril jusqu’au milieu de juillet : la tige se présente comme la nôtre, mais d’une couleur plus jaunâtre ; elle donne plus de branches qui fournissent toutes des guirlandes de grain à chaque nœud, semblables aux guirlandes de groseilles. Le grain se présente au même instant que la fleur qui est imperceptible ; il ne craint ni les vents chauds, ni les gelées blanches ; cette plante ne se couche point, malgré les vents & les pluies, quand même le terrain seroit fumé et cultivé comme pour le chanvre ; elle se soutient au moyen des branches dont le tuyau est presque plein. Chaque plante produit 50, 100, 1000, & 2000 grains, suivant la bonté du terrain ou des engrais & des préparations qu’on lui donne : elle réussit dans toute espèce de situation & de terrain : la récolte est aussi aisée à moissonner ou à arracher que celle de celui du pays plus aisée à battre ; le grain ne s’écrase point sous les pieds du batteur ni sous le fléau, il est aussi dur que le grain du froment ; la mesure en est plus pesante que celle du pays, la farine plus douce, bonne en soupe & en friture, très-propre pour la fabrique des toiles, & pour engraisser les bestiaux & la volaille ; elle prend plus d’eau, la pâte a plus de liaison, le pain est plus nourrissant ; les bestiaux en mangent le son ; le grain se conserve au gerbier & au grenier, il ne s’échauffe point & ne prend point le goût de fort & de moisi ; il peut se conserver plus de deux années comme le froment. Tous ces avantages sont au contraire autant d’inconvéniens dans celui de ce pays ; les charançons ne l’attaquent point, mais bien les rats, de préférence à tout autre grain.

De trente journaux composés chacun de 600 toises delphinales, continue M. Martin, que j’ai ensemences de blé-noir, la moitié n’avoit jamais reçu aucun engrais, & l’autre moitié, seulement depuis sept à huit ans. J’ai donné deux labours de préparation à quinze de ces jour-