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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/126

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Le blé Sibérien a un inconvénient dans sa maturité, il s’égraine très-facilement, & l’on ne peut prendre trop de précautions en le coupant pour obvier à la chute de ce grain. Je dois aussi faire observer qu’il réussit moins bien dans les terres neuves, puisqu’il ne donne que de neuf à douze pour un. On ne doit le couper que le soir & le matin à la rosée, ou dans des temps humides ; il acquiert de la qualité en vieillissant ; cet aliment est meilleur la seconde & la troisième année que la première.

Il a encore un avantage bien précieux dans une année de disette ; car on peut faire deux récoltes successives dans la même année & dans la même terre ; je l’ai semé en mars & récolté à la fin de juin, je l’ai semé en juillet & récolté à la fin d’octobre ; M. le comte de Boisgelin & plusieurs de mes voisins ont eu le même succès. Les habitans des provinces plus méridionales que la Bretagne, peuvent bien mieux encore essayer les deux récoltes, il faut pour cela choisir des situations abritées.

Oui, Monsieur, si on substituoit en France le blé-noir de Sibérie au blé-noir ordinaire qui, outre l’infériorité de ses qualités à tous égards, rapporte encore les trois quarts moins, année commune ; si sa culture, étoit généralement adoptée, j’ose assurer qu’il n’existeroit pas un seul individu dans le royaume exposé à mourir de faim. Pour pouvoir consommer ce grain admirable, on seroit même obligé de multiplier à l’infini les volailles de toute espèce qu’il engraisse parfaitement, & en le destinant à l’usage des cochons, on peut le moudre fin pour que rien ne s’en perde ce seroit alors qu’on verroit se réaliser le vœu de notre bon Roi Henri IV, la poule au pot.

Depuis quatorze ans, Monsieur, je régis une terre qui m’appartient & qui est située dans cette partie de notre province, laquelle est privée de tous les avantages que la nature a au contraire accordés si abondamment à une autre partie de cette même province ; je veux parler de la Sologne, pays où la nature semble se refuser aux travaux du cultivateur, où la terre n’ouvre son sein qu’à regret, & dont les habitans & les bestiaux de toute espèce qui l’exploitent, se ressentent de la mauvaise nourriture que fournissent les maigres productions que le colon arrache avec tant de peine de cette terre ingrate.

Depuis cette époque de quatorze ans, je me suis toujours occupé de chercher les moyens d’améliorer mon bien, j’ai rencontré à tout moment des obstacles invincibles, sur-tout pour de nouvelles prairies que j’ai été obligé d’abandonner après avoir fait bien des frais pour les établir ; mais comme il ne faut négliger aucun des moyens qui se présentent, & frappé des avantages singuliers que MM. Martin & Turmelin donnent au blé-noir de Tartarie ou de Sibérie ; considérant en outre que je rendrois un service essentiel à la Sologne, si je parvenois à introduire la culture de ce grain qui remédieroit au défaut des récoltes ordinaires, lesquelles ne suffisent pas à beaucoup près, & presque tous les ans, pour nourrir les habitans d’une récolte à l’autre, ainsi que tous les propriétaires de biens dans la Sologne ont dû le reconnoître ; considérant encore que rarement le blé-noir