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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/54

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ment. On ne l’y trouvera pas aussi belle que dans nos prairies, mais elle indiquera jusqu’à quel point elle peut être utile, soit dans son état presque de simple nature, soit lorsqu’elle reçoit par la culture & par la main de l’homme toute la perfection dont elle est susceptible.

Je la vois remplir sa destination & se reproduire dans de mauvais terrains, pour peu qu’ils soient abrités des vents du nord ; je la vois végéter dans le pays froid de la Sibérie, dans les champs de l’Angleterre, &c. Je dois donc dire, cette plante réussira presque par-tout, & si elle craint quelque chose, c’est la trop grande chaleur. Mes craintes seront cependant bientôt dissipées si je fouille la terre & si j’examine ses racines ; alors je découvre qu’elle a deux grands moyens de pourvoir à sa nourriture, sans parler de celle qu’elle absorbe de l’air par ses feuilles. C’est d’abord une racine pivotante qui va très profondément puiser l’humidité & recevoir les sucs nourriciers qui maintiennent la plante contre la sécheresse. L’expérience a prouvé que ces racines plongent quelquefois jusqu’à 10 & 12 pieds de profondeur. D’un autre côté, par ses racines latérales, qui naissent près du collet, elle s’approprie les sucs de la superficie ; ainsi, d’une manière ou d’une autre, elle est assurée de sa subsistance. Ces racines du collet sont cause qu’on n’obtient pas, après avoir détruit une esparcette, d’aussi belles récoltes en blé, & pendant le même nombre d’années, qu’après la destruction d’une luzernière ou d’un champ auparavant couvert par le grand trèfle, dont les racines sont purement pivotantes. Malgré cela, cette plante a la propriété d’engraisser les champs où elle a été semée. Voilà les ressources que la nature a ménagées pour la végétation de cette plante ; quant à son utilité comme fourrage, l’expérience a démontré qu’il étoit excellent. Il reste donc à conclure que le sainfoin est une des plantes les-plus utiles, qu’elle peut croître & prospérer du plus au moins dans toutes les espèces de terrains, & que pour peu que l’on aide sa végétation, l’homme est assuré de trouver en elle la qualité & la quantité réunies pour la nourriture de ses bestiaux.

Il faut convenir cependant qu’il y a beaucoup de terrains où le sainfoin réussît beaucoup mieux que dans d’autres, & ajouter en même temps qu’il croît par-tout : c’est déja un très-grand point, & le premier apperçu d’une récolte quelconque sur un terrain réellement mauvais, je dirois presque infertile. Le premier qui a introduit en France la culture du sainfoin, mériteroit une statue élevée par les mains de la reconnoissance des habitans dans les cantons dont le sol se refuse à la production du fourrage. Le sainfoin végète dans les terres sablonneuses, caillouteuses, pierreuses, & même crayeuses, & si on n’a pas de récoltes brillantes, on tire au moins des secours, pour la nourriture du bétail, d’un terrain qui seroit resté inculte. Que sera-ce donc si le fond du sol est bon ? Le produit est considérable. Cependant je ne conseillerai jamais la culture du sainfoin dans de telles circonstances ; il vaut mieux consacrer les champs à celle de la luzerne, & encore mieux à cette du grand trèfle, parce qu’il