Aller au contenu

Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’esprit de système, s’agitoient pour arracher du gouvernement des ordres désastreux, l’opinion se manifestoit en Angleterre dans un sens tout opposé : « De toutes les parties de l’économie rurale d’Angleterre, écrivoit, en 1792, M. Arthur Young, celle des étangs est la plus négligée. Cependant, si nous observons ceux que nous ont laissés nos ancêtres, nous y remarquons des traces de dépenses et de travaux considérables, preuves incontestables des grands avantages qu’ils devoient en retirer. Nos ancêtres, obligés par leurs institutions religieuses de se nourrir d’alimens maigres, sentoient trop le prix de cette branche de l’économie rurale, pour la laisser languir dans un état aussi affreux ; mais les carpes, les tanches et les perches ne sont-elles donc bonnes que pour les catholiques ? Si elles sont considérées comme des mets délicats, pourquoi ne s’occupe-t-on pas plus qu’il y a deux cents ans, de les rendre plus communes en Angleterre ? J’engageai fortement mon ami à ne pas négliger cette partie, et je crois l’y avoir déterminé, en lui prouvant combien seroit supérieur à celui de ses mauvaises récoltes d’herbages, le produit qu’il en retireroit ; et, pour lui démontrer combien le conseil que je lui donnois méritoit toute sa confiance, nous consultâmes les notes qu’il avoit prises sur les quatre étangs, actuellement remplis d’eau, qui lui restoient. » (Voyage dans le comté d’Essex.) Les détails que donne ensuite M. Arthur Young, quoiqu’assez peu complets, parce que le propriétaire des étangs n’avoit ni soigné, ni surveillé cette branche de son revenu, présentent un résultat avantageux en leur faveur ; aussi, cet agriculteur célèbre nous apprend-t-il que le propriétaire, frappé d’avantages qu’il avoit dédaignés, s’est déterminé non seulement à rétablir ses étangs, mais encore à apporter plus de choix dans les espèces de poissons destinées à les peupler.

Tandis que les Anglais, au lieu de reprocher à leurs ancêtres catholiques, la formation et l’entretien des étangs, s’encourageoient au contraire à suivre leur exemple, de plates et virulentes diatribes se débitoient dans nos contrées, après la chute de l’ancien gouvernement, en style tant soit peu révolutionnaire, contre les moines qui, disoit-on, avoient multiplié les étangs dans leurs possessions, pour fournir leurs tables de mets délicats en maigre. Mais cette abondance, ou si l’on veut, ce luxe de l’abstinence, loin d’être préjudiciable, tournoit au profit de la mense commune. En effet, l’on ne peut contester que, plus il y a de variété dans la masse des subsistances, moins la cherté se fait sentir parmi celles qui sont d’un usage général et habituel. Si, au lieu de la grande quantité de poissons que leurs cuisines engloutissoient, les anciens cénobites eussent mangé de la viande de boucherie, le prix de cette espèce d’aliment eût nécessairement augmenté avec sa consommation. Les poissons, que des étangs bien entretenus nourrissoient, n’étoient pas uniquement destinés à leurs possesseurs. Par les pêches périodiques qui s’y pratiquoient, les ressources alimentaires s’accroissaient dans les environs, et même à une assez grande distance ; et ces ressources étoient à la portée du pauvre comme du riche, en même temps qu’elles procuroient à tous une nourriture aussi saine qu’agréable.

Ce résultat des produits que l’on retire des étangs est un point très-important de l’économie publique, et sur lequel on n’a pas assez insisté. Ceux qui demandoient le dessèchement des étangs ne faisoient pas attention, sans doute, à la perte immense de denrées que la population éprouveroit ; car cette seule considération eût été d’un assez grand poids pour les déterminer à abandonner un