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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/254

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toient autre chose que du suif de mouton bien dépuré, et rendu solide par l’action de la substance amère et astrictive de ce fruit, qui, loin d’en augmenter la masse, opéroit sur elle un déchet de plus de moitié. La matière huileuse et résineuse seule pouvoit y entrer, car la substance amylacée n’est pas de nature à se corporifier jamais avec les matières grasses : aussi, le prix auquel ces prétendues bougies de marrons d’Inde revenoient a fait bientôt évanouir toutes les espérances de fortune qu’on croyoit déjà réalisées.

Le marron d’Inde a été encore l’objet d’autres spéculations. On a pensé que, soumis à la fermentation, et ensuite à la distillation, il donneroit de l’alcool que l’on pourroit employer ensuite dans la composition des vernis ; mais s’il existe dans ce fruit une matière sucrée, elle n’y est pas très-abondante, puisqu’au lieu d’obtenir dans ces deux cas de l’alcool, Antoine, pharmacien distingué de l’hôpital militaire du Val-de-Grace, n’a eu, dans l’examen qu’il en a fait, qu’un acide acéteux, qui paroît exister dans ce fruit avant sa fermentation, et dont sa seule infusion dans l’eau suffit pour en démontrer la présence, dès qu’on se sert des réactifs nécessaires pour s’en assurer.

Pain de marrons d’Inde, sans mélange de farine de grains. Après avoir dépouillé les marrons d’Inde récens, de leur écorce et de leurs membranes intérieures, je les ai divisés au moyen d’une râpe de fer-blanc, et j’en ai formé une pâte d’une consistance molle, que j’ai renfermée dans un sac de toile ; et, soumise à la presse, il en est sorti un suc visqueux, épais, d’un blanc jaunâtre et d’une amertume insupportable ; le marc restant étoit blanc et très-sec, je l’ai délayé dans une quantité d’eau, en le frottant entre les mains ; la liqueur laiteuse passée à travers un tamis de crin très-serré, a été reçue dans un vase où il y avoit de l’eau. J’ai obtenu enfin, par le repos, par les lotions et par la décantation, une fécule douce au toucher, et qui, desséchée à une chaleur modérée, étoit blanche, sans odeur, sans saveur, ayant tous les caractères d’un véritable amidon, tandis que la partie fibreuse restée sur le tamis, conservoit opiniâtrement de l’amertume. Cette amertume est tellement intense dans le fruit dont il s’agit, que douze à quinze grains de sa poudre suffisent pour la communiquer à une livre de farine de froment.

Pour panifier cet amidon, j’en ai pris quatre onces, et pareille quantité de pommes de terre cuites, et réduites par un rouleau à l’état de pulpe : j’en ai formé une pâte, avec suffisante quantité d’eau chaude, dans laquelle se trouvoit délayée la dose ordinaire de levain de froment ; la pâte exposée dans un lieu tempéré, mise ensuite pendant une heure au four, m’a donné un pain blanc, bien levé et de bonne odeur. Différentes personnes, à qui je l’ai fait goûter, l’ont trouvé bon, et n’y ont remarqué d’autre défaut que d’être un peu fade, défaut que quelques grains de sel ont bientôt corrigé.

Je ne cite ici que cette proportion, comme étant celle qui m’a le mieux réussi : on devine bien que, pour l’atteindre, j’ai dû en essayer beaucoup d’autres, dont le plus grand nombre a été infructueux. Les différentes fécules retirées des plantes vénéneuses, dans lesquelles l’aliment est, comme ou dit, à côté du poison, traitées successivement de cette manière, m’ont donné des pains également bons, et dans lesquels il n’a pas été possible de distinguer le végétal d’où elles provenoient : si elles avoient quelques nuances dans leur saveur ou dans leur couleur, elles étoient dues plutôt au plus ou moins de lavage que ces fécules avoient éprouvé, qu’à des différences essentielles dans leurs parties constituantes.