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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/352

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d’œufs frais, du moins une qualité propre à les soumettre à tous les procédés de la cuisine.

Quand on dit qu’un œuf sent la paille, parce que celle-ci a servi à sa conservation, on est dans l’erreur, puisque cet intermède, lorsqu’il n’est pas mouillé, ne peut rien lui communiquer, et que, quand un œuf commence à s’altérer et à se désorganiser, il a le même mauvais goût, (qu’on désigne ainsi) quel que soit le moyen employé pour l’en garantir ; d’ailleurs, je l’ai déjà dit, la paille est le plus mauvais conducteur du calorique : bien sèche, elle ne peut communiquer aucune mauvaise odeur, non seulement aux œufs, mais encore aux fruits, lorsqu’on les dépose dessus. Il n’est pas douteux que dans les paniers dans lesquels on transporte les œufs, si un seul vient à se gâter ou à se casser, répandu dans la masse, il viendroit bientôt à bout de donner mauvais goût à tous les autres ; et une fois que l’œuf a ce goût de paille, il est difficile de le lui enlever ; ce qui prouve qu’il tient à une partie de l’œuf qui est altérée.

À l’égard des moyens de conserver les œufs, plusieurs écrivains ont dit assez vaguement qu’ils avoient cru remarquer que ceux qui étoient fécondés ne se gardoient pas aussi longtemps que les œufs clairs, et il seroit possible que le succès de plusieurs procédés indiqués dans cette vue, fût dû à leur non fécondation plutôt qu’à la bonté de la méthode. En voici un exemple frappant.

Dans ses leçons de physique expérimentale, l’abbé Nollet proposoit le moyen que nous allons décrire : « Au commencement de l’automne, disoit-il, prenez une certaine quantité d’œufs frais non fécondés, c’est-à-dire, pondus par des poules qui auront été séparées du coq depuis un mois ; attachez sur leur pointe, avec un peu de cire d’Espagne, les deux extrémités d’un bout de fil ; ce fil formera ainsi un anneau par lequel vous le suspendez à un clou ; ayez dans un vase, ou dans un grand gobelet, certaine quantité de vernis ; le meilleur de tous, parce qu’il est le moins coûteux et le plus facile, est celui qui peut se faire avec de la cire d’Espagne commune réduite en poudre, et infusée dans de l’esprit de vin ; vous présenterez successivement votre vase sous chacun des œufs ; vous les y plongerez, et c’en sera assez pour les conserver. Si vous voulez ensuite les faire cuire, ou même les faire couver, supposé qu’ils fussent féconds, vous n’aurez qu’à les frotter avec un pinceau trempé dans l’esprit de vin pur, le vernis disparoîtra, et la coque restera nette, sans avoir ni ses pores empâtés, ni ce coup d’œil huileux et dégoûtant que lui donnent les méthodes des graisses. »

Tous ces moyens, plus ou moins efficaces, sont encore insuffisans pour mettre le cultivateur à portée de former des magasins d’œufs, de les vendre un certain prix dans la saison où ils sont rares, et lorsqu’on en a le plus besoin pour remplacer les alimens qui manquent ordinairement. Il porte promptement au marché ce qui excède la consommation de sa maison, et ne se détermine à faire des provisions que d’œufs pondus depuis thermidor jusqu’en vendémiaire, parce que l’expérience lui a prouvé qu’en général les œufs qui proviennent de la seconde ponte sont précisément ceux qu’on conserve plus facilement. À cette époque de l’année, les poules sont nourries de grains et mangent moins d’herbes ; c’est peut-être là une des causes qui rendent leur conservation lus facile ; mais j’ai tout lieu de présumer que la principale appartient à l’affoiblissement de la vigueur du coq, et au temps moins chaud qui règne alors, puisqu’il est reconnu que les poussins d’automne n’ont jamais la même vigueur que ceux qui sont éclos au printemps, malgré tous les soins qu’on prend de leur première éducation.

Dans le cas où l’on auroit à former des magasins d’œufs dans des places fortes, dans des villes extrêmement populeuses, enfin, lorsqu’il s’agiroit d’en approvisionner des vaisseaux pour un voyage de long cours, quels seroient les moyens qu’on pourroit employer pour les préserver d’altération pendant un temps assez considérable ? Réaumur prétend en avoir trouvé un, aussi simple que facile à exécuter. Pour avoir, dit-il, dans les saisons, des œufs constamment frais, des œufs parmi lesquels il n’y en ait jamais un seul de gâté, il suffit d’intercepter la transpiration qui se fait dans chaque œuf, d’empêcher la communication de l’air avec les matières qui y sont contenues, et par là, la fermentation qui peut les altérer. Il n’est question, pour cela, que d’enduire la coquille d’un vernis imperméable à l’eau, ou, plus simplement encore, d’huile ou de graisse, ou de beurre, avec la précaution de passer et de repasser les doigts sur la surface, enfin d’être bien assuré qu’il n’y a aucune partie de cette coquille qui n’en soit imprégnée. Les œufs ainsi préparés, ajoute Réaumur, ne souffrent point d’évaporation, tout y demeure en repos ; ils ont beau vieillir, ils restent toujours frais.

Comment un moyen qui, d’après cet auteur,