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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/359

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singulièrement bien, ainsi que nous l’avons déjà dit, à la pâtisserie, il paroît que ceux de pintade, de dinde et de poule, méritent la préférence en omelette ou en œufs brouillés, sur-tout quand on a soin de les mêler en certaines proportions, et de les délayer préalablement de manière à en former un tout homogène.

Les omelettes sont du goût de tout le monde, mais il y a réellement des estomacs qui ne sauroient les digérer, peut-être à cause de la manière de les préparer : si on battoit à part les blancs et les jaunes, le mélange alors seroit plus exact, plus intime, absorberoit davantage d’air, et le résultat deviendroit nécessairement plus savoureux et plus léger.

Cependant, si ce mode présentoit quelque embarras dans la cuisine, pour empêcher de l’adopter, la ménagère, après avoir cassé ses œufs, pourroit s’en réserver un sur la douzaine, séparer le blanc, le fouetter avec un peu d’eau, et le mêler dans l’état mousseux avec les œufs battus : l’omelette, par ce moyen, est fort délicate.

Si les œufs brouillés sont plus délicats et plus digestibles que les omelettes, c’est parce qu’ils présentent plus de surface à la salive et aux sucs gastriques, qu’ils cuisent à une chaleur douce, et qu’ils sont agités sans discontinuer jusqu’à leur parfaite cuisson.

Mon intention n’est pas de décrire l’art culinaire, mais bien de traiter à fond une matière qui, dans toutes nos ressources, n’a pas de substitut, et sur laquelle il s’exerce à chaque instant pour augmenter, varier, perfectionner ses résultats dans tous les genres de services dont cet art important couvre la table.

Indépendamment de la cuisine, les œufs servent encore à d’autres usages. La clarification et le collage des vins en consomment énormément. Combien il seroit avantageux de n’y employer que des œufs clairs, c’est-à-dire des œufs qui, étant privés de germe fécondé, seroient beaucoup moins susceptibles de se gâter ! Nous rappellerons cet objet au mot Vin.

Réflexions générales sur les œufs. C’est sans doute à l’ignorance dans laquelle on est sur une grande partie des moyens dont nous venons de présenter le développement ; c’est à l’oubli de soins pour des objets qui paroissent n’en exiger que très-peu, qu’il faut rapporter l’opinion défavorable que les propriétaires cultivateurs semblent avoir adoptée à l’égard des oiseaux de basse-cour. S’ils eussent pu ou voulu apprécier à sa juste valeur la ressource des œufs, ils se seroient bien gardés d’écrire qu’il ne falloit pas compter, dans une métairie, sur le bénéfice du poulailler.

Dans les grandes fermes, en effet, les détails de cette partie de la basse-cour sont abandonnés au premier venu : on ne s’y donne pas même la peine de compter le nombre des coqs et des poules qui existent, de s’assurer de la proportion dans laquelle ils doivent se trouver respectivement, et si les uns et les autres réunissent les conditions propres à remplir le but pour lequel on les entretient.

Le poulailler désavantageusement situé, incommode, malpropre, n’attache pas les poules à leur demeure : elles vont pondre dans les coins et recoins de la ferme, souvent même au dehors dans les terres cultivées, où elles font en même temps beaucoup de dégâts. Enfin, leurs produits ne sont soumis à aucune combinaison, ni à la moindre surveillance. Faut-il s’étonner si, dans cet état d’abandon, la volaille ne présente souvent qu’une source de dépense, et à peine des résultats médiocres ?

J’ai eu la curiosité de parcourir plusieurs de ces fermes avec l’intention d’y examiner particulièrement cet objet qui étoit le seul négligé ; après m’être assuré que le nombre des poules s’élevoit à cent cinquante environ, et qu’il y avoit un coq au moins pour le service de six poules, lorsque trois sur la totalité pouvoient suffire pour assurer la fécondation de cette peuplade volatile, je questionnai la fille qui en avoit le gouvernement, pour savoir à combien s’élevoit la quantité d’œufs qu’elle recueilloit par jour ; c’étoit au mois de mai, époque où la ponte est dans la plus grande activité ; elle me répondit que la quantité alloit de trente à quarante, ce qui me fit présumer que le maître perdoit au moins journellement, par apperçu, soixante à soixante-dix œufs. Cette fille ne put en disconvenir ; mais elle m’ajouta que le logement des poules étant peu commode et mal placé, les poules se rendoient par toutes les ouvertures de la cour aux champs, et qu’alors il lui étoit impossible de se charger d’aller ramasser leurs œufs.

Je donnai au propriétaire le conseil de rendre le poulailler plus attrayant pour les poules, d’exiger qu’on leur jetât dans le lieu qui en seroit le plus voisin, leur manger, et, en attendant, de faire suppléer la fille de basse-cour par des enfans auxquels il seroit accordé deux sous par quarteron d’œufs qu’ils ramasseroient hors de la cour. Ce conseil, mis à profit, a eu un succès complet.