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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/522

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apporté de loin, sans des embarras et des frais qui nécessairement en rehaussent le prix et en circonscrivent l’emploi ?

Cette indifférence pour une ressource peu coûteuse, et en même temps pour la possibilité de retirer d’une petite étendue de terrain une quantité énorme de nourriture, influe nécessairement sur nos marchés. Dans les campagnes où lesracines potagères sont pour ainsi dire ignorées, les habitans consomment beaucoup de grains, négligent de faire des élèves, et ont par conséquent peu de bestiaux, ce qui diminue les seuls moyens qu’ils aient d’avoir de l’argent, et de satisfaire à tous leurs besoins ; tandis que quelques arpens consacrés, chaque année, aux racines potagères, les mettroient en état de subvenir au paiement de leurs charges, aux avances que demandent les améliorations, et de procurer à tout ce qui les environne une nourriture saine et abondante.

Racines potagères pour la nourriture des bestiaux. La multiplication des subsistances pour le bétail a été, de tous les temps, regardée comme un des meilleurs principes d’agriculture ; c’étoit la maxime des anciens : Une plante nouvelle applicable à la nourriture des hommes et des animaux, pendant la morte saison, est une double conquête.

C’est sur-tout dans le voisinage des grandes villes que la culture en grand des racines potagères deviendroit intéressante pour l’engrais des animaux destinés à la boucherie, pour les vaches laitières, qui donneroient pendant l’hiver plus de produits qu’avec le fourrage sec dont on les nourrit ordinairement ; d’ailleurs, on pourroit en trouver un débit avantageux, aujourd’hui que les racines forment la base de plusieurs ragoûts, qu’elles paroissent avec intérêt sur la table, et servent d’accessoire aux compositions des soupes économiques qui, heureusement, prennent une grande considération dans la classe indigente. Si les racines potagères succédoient constamment aux grains, dans l’année de jachères, elles deviendroient, comme tant de faits l’attestent, étant mêlées en certaines proportions au fourrage ordinaire, un moyen de prolonger, par l’abondance de leurs sucs, les effets du vert, toute l’année, et de conserver les animaux dans cet état de vigueur et d’embonpoint, si nécessaire pour le renouvellement des espèces ; l’hiver seroit infiniment moins long pour les bestiaux qui, fatigués du régime sec, soupirent après le retour du printemps. Le cultivateur, de son côté, seroit assuré, dans tous les temps, de partager avec les compagnons de ses travaux l’aliment qui leur est destiné, de mettre chaque année le sol en valeur, sans le détériorer, de recueillir enfin de belles moissons après l’une ou l’autre de ces racines potagères.

Les habitans des campagnes, instruits par la leçon du malheur, qu’il ne falloit pas compter trop exclusivement sur la récolte des foins et des avoines, ont recours aux prairies artificielles, dont les produits sont assez généralement plus certains. Mais combien de fois cette ressource ne leur échappe-t-elle pas encore ! Désespérés de voir leur bétail privé d’une nourriture suffisante, pendant l’été, et exposés, par conséquent, à s’en défaire aux approches de l’automne, ils seroient consolés par la douce espérance de le mieux nourrir l’hiver, et ils trouveroient du bénéfice dans la vente des productions qui en résulteroient.

Les effets de la disette des fourrages qu’on a éprouvée par l’extrême sécheresse de 1785, qui n’épargna aucun de nos départemens, ont été moins funestes à ceux de leurs habitans qui ont coutume de cultiver en grand les racines potagères. La grêle désastreuse du 13 juillet 1788, qui a changé le tableau de la plus riche moisson en un spectacle de la plus