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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/534

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les élémens dont il est composé sont élaborés, combinés et mélangés de manière à présenter tous les caractères d’une confiture agréable, et à mettre, pendant un certain temps, à l’abri de la fermentation, l’extrait, la gelée et la pulpe des fruits.

Dans les années où les fruits à noyaux manquent, lorsque les ménagères les plus diligentes ne peuvent s’occuper de leur provision en gelées et marmelades, et que la saison a été favorable au raisin, ce dernier présente le moyen de remplacer ces confitures, et ce remplacement produit en même temps une grande économie sur le sucre, qu’on ne fait guères entrer dans le raisiné, à moins que ce ne soit dans les années humides, à l’ouest et au nord de la France, où la vigne réussit, lorsque les raisins sont verts ; car nous sommes loin de croire que ce condiment puisse, en aucun cas, préjudicier au raisiné. Quand il étoit à un prix peu élevé, son addition ne formoit pas une augmentation de dépense sensible ; mais ce prix étant triplé au moins, et le sucre étant devenu pour la France une matière en quelque sorte exotique, tous les efforts de l’industrie doivent tendre à en épargner l’emploi ; le raisiné qui en contiendroit une certaine proportion cesseroit d’ailleurs d’être considéré comme une confiture populaire, il n’y en auroit plus à la portée de toutes les fortunes, les gens aisés pourroient seuls y atteindre.

Je sais qu’il est au pouvoir de l’art de corriger la mauvaise qualité des vins, et de les améliorer considérablement par l’emploi du sucre et du miel, ajoutés avant la fermentation, et qu’à l’aide de ce moyen on peut affoiblir sa trop forte acidité ; mais très-heureusement le raisin des années favorables à la vigne n’a nullement besoin de ce secours. Augmenter les fabriques du raisiné, diminuer pour le présent et pour l’avenir la consommation du sucre, c’est concourir à l’intérêt général et particulier.

Choix des fruits pour le raisiné. Si les différentes espèces de raisins ne conviennent pas à la cuve, toutes sont également bonnes pour la confection du raisiné ; plusieurs d’entr’elles sont si abondamment pourvues du principe mucoso-sucré, qu’il faut nécessairement leur ajouter des fruits pulpeux, âpres, acerbes, des aromates pour en relever la trop grande douceur ; tandis que d’autres exigent, suivant la latitude et la saison, un peu de miel et de mélasse ou de cassonade, pour masquer sa trop grande acidité.

Toutes les années ne sont pas aussi favorables à la qualité et à l’abondance du raisin, que 1803 ; elle fera époque dans le siècle, pour la quantité et la grosseur des grappes, pour le volume et la maturité des grains : aussi le raisin des départemens septentrionaux, communément moins savoureux, se trouve-t-il presque aussi sucré que la même espèce provenant du ci-devant Dauphiné et de la Bourgogne. Dans les bonnes années, le raisiné, même celui du Nord, peut facilement durer pendant des années entières ; toute l’altération qu’il éprouve à mesure qu’il vieillit, c’est de se candir ou de se liquéfier. Dans le premier cas, on le décuit au temps de la vendange, avec de nouveau moût ; dans le second, au contraire, on l’expose un peu au feu ; c’est ainsi qu’on peut rajeunir sa provision, et la mettre encore en état de passer l’hiver.

On a remarqué que, dans les contrées méridionales où l’on fait ordinairement plus de raisiné qu’ailleurs, les raisins indiqués comme les plus propres à cette préparation sont le muscat blanc, le muscat rouge et le chasselas ; ils y parviennent à une maturité si parfaite, et contiennent une si grande quantité de principe sucré, que les vins qui résultent de la décomposition de ce principe dans la cuve fournissent à la distillation jusqu’à un tiers de leur poids d’une eau-de-vie riche en alcool. À Montpellier, c’est le raisin blanc ou noir ; dans les départemens plus septentrionaux, c’est le franc pineau ou le morillon noir qui est la variété la plus estimée pour ce genre de confiture.

Mais pour cueillir le raisin destiné à faire le raisiné, il faut attendre sa parfaire maturité, que la vendange soit finie, et ne le récolter que par un temps sec et un soleil ardent ; avoir soin sur-tout de l’égrapper et de le monder exactement, vu que quelques grains gâtés et un brin de rafle suffiroient pour préjudicier à la saveur gracieuse du raisiné.

Lorsqu’on jouit encore après la vendange de quelques rayons de soleil, et qu’il n’y a rien à redouter de la part des oiseaux et des insectes, il seroit utile d’en profiter pour laisser plus long-temps le raisin au cep. Dans le cas contraire, il faut le rentrer à la maison, et l’exposer sur la paille, comme pour en faire le vin de liqueur de ce nom ; ce seroit un moyen de diminuer les frais de l’évaporation, de tenir moins long-temps exposé à l’action du calorique le raisiné, qui alors donne un résultat plus abondant, moins coloré et d’une saveur plus agréable. Ce conseil, à la vérité, que je donne aux ménagères qui ne dédaignent point de préparer elles-mêmes le raisiné de leur