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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/550

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elle est pleine d’un suc jaune, qui laisse sur les doigts et les mains des taches de cette couleur. Si la racine étoit suspendue immédiatement après avoir été arrachée, tout le jus en découleroit, et elle deviendroit légère et sans vertu ; c’est pour éviter cet inconvénient que les morceaux sont d’abord placés sur de longues tables, et qu’on les retourne trois à quatre fois par jour, afin que le suc puisse s’incorporer avec le corps de la racine, et, pour ainsi dire, se coaguler dans son parenchyme. Au bout de quatre, cinq ou six jours, on fait des trous à travers chaque morceau qui est suspendu à des cordons, et qu’on expose à l’air, ayant soin en même temps de les mettre à l’abri des rayons du soleil. Les racines sèchent fort bien de cette manière, et acquièrent leur perfection dans l’espace de deux mois. On les enlève de terre dans l’hiver, avant que la plante ait poussé ses feuilles, parce que le suc et toute sa vertu sont alors renfermés dans la racine.

» Les racines qui ont été enlevées pendant l’été, et lorsque les feuilles ont poussé, sont légères, spongieuses, pleines de trous et sans consistance ; elles n’ont pas d’ailleurs la couleur jaune de celles qui ont été arrachées pendant l’hiver ; elles ne laissent pas d’être rouges, mais elles ne sont pas aussi bonnes que celles qui ont été enlevées de terre avant le printemps.

» Pour faire, en rhubarbe parfaitement sèche, la charge d’un cheval, il faut sept charges de racines fraîches nouvellement récoltées. La rhubarbe fraîche est si amère, que personne n’ose en goûter ; si les racines n’ont été nettoyées et coupées en morceaux que cinq ou six jours après qu’elles ont été enlevées de terre, elles deviennent molles et pourrissent bientôt.

L’usage de la rhubarbe, en médecine, plus fréquent autrefois qu’à présent, la possibilité de l’employer comme matière tinctoriale, le haut prix qu’elle a quelquefois dans le commerce, et sur-tout en temps de guerre, toutes ces considérations ont déterminé à essayer en France la culture des plantes qui la fournissent. Elle a eu lieu à Gros-Bois, et dans d’autres endroits, aux environs de Paris ; mais c’est sur-tout dans le Morbihan qu’il en existe de grandes plantations, sous la direction de plusieurs cultivateurs estimables, qui en retirent un produit assez considérable pour marquer dans le commerce.

Cette plante, qui est l’undulatum, parfaitement naturalisée et acclimatée à peu de distance de Lorient, y supporte les hivers les plus rigoureux, et y prend un accroissement si considérable, que chaque racine pèse communément quinze à trente livres ; elles ont de douze à quinze pouces de circonférence, et trente au moins de profondeur, divisées en plusieurs pivots.

Elle se multiplie par œilletons pris au printemps ou à l’automne, placés à quatre pouces de profondeur, et à deux pieds de distance, en quinconce, dans une terre bien préparée ; elle pousse ses feuilles au printemps ; elle élève sa tige à graine en avril, et fleurit en mai ; sa semence mûrit en juin et juillet ; on récolte la racine en automne, la quatrième année.

Mais, quoique le mode de bouture soit plus hâtif, le semis doit lui être préféré, parce que les racines pivotent mieux, sont plus volumineuses et d’une pesanteur spécifique plus considérable. Il est bon encore de remarquer qu’il ne faut pas fumer, et que les arrosemens font carier les racines. Quoique cette plante s’accommode d’un sol naturellement humide, de toute terre légère ou forte, mais profonde, elle veut l’exposition au levant, sans être abritée par d’autres végétaux. Elle est très-vivace, et d’une culture aisée.

C’est absolument pour les racines que les rhubarbes sont cultivées. Le commerce nous les apporte de la Chine et de la Moscovie, toutes séchées, en morceaux plus ou moins gros, les uns arrondis, les autres aplatis, ou pleins, ou percés au centre, jaunes à l’extérieur, marbrés de rouge et de blanc à l’intérieur, d’une saveur acerbe, amère, d’une odeur nauséabonde. Le pharmacien distingue bien la rhubarbe de Chine de celle de Moscovie ; elle est moins grosse, moins pesante ; les veines rouges de son intérieur sont sur un fond plus blanc ; les lignes blanches qui les séparent sont plus irrégulières, plus multipliées ; sa saveur est plus