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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/601

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et qu’on y mette des tranches de pain au moment de la servir.

Soupe au lait. Dès que le lait est prêt à bouillir, il faut le verser sur le pain découpé en tranches et mis dans la soupière, puis la recouvrir. En faisant le contraire, c’est-à-dire en jetant le pain dans le lait sur le feu et le laissant bouillir un moment, on court les risques de le coaguler.

Le fluide qui reste après que la crème a été battue, porte le nom de lait de beurre, dénomination fort impropre, puisqu’il ne contient pas un atome de beurre, et que quand la crème n’a pas trop d’aigreur, ce fluide n’est autre chose que du véritable lait comparable au lait écrémé ; il est aussi bon et aussi nourrissant.

Ce sont de ces vérités dont on ne paraît pas assez convaincu. Les habitans des campagnes n’en paraissent pas assez persuadés, car ils font servir le lait de beurre à la soupe des valets de la ferme, ou à la nourriture des pauvres.

Soupe à l’ognon.
Prenez farine d’orge 1 liv.
Ognons rouges ou blancs 2 ½
Beurre ou graisse 1 ½
Poivre concassé 2 gr.
Sel fondu 3 onc.

Quand les ognons sont divisés par petits morceaux égaux entr’eux, on les fait frire dans le beurre jusqu’à ce qu’ils aient acquis une couleur blonde ; alors la farine dans laquelle se trouvent mêlés le sel et le poivre est ajoutée par portions ; on remue le tout vivement et fortement, et, un quart d’heure après, on retire la matière du feu ; elle pèse environ une livre et huit onces, et forme dix-huit rations à une once et demie chacune, d’une matière grasse, pulvérulente et assez maniable pour être renfermée dans du papier.

Pour préparer cette soupe, on prend une once et demie de substance qu’on délaie dans seize onces d’eau, qu’on expose jusqu’au moment de l’ébullition ; on y met alors une once de biscuit broyé, ou une once et demie de grain, d’où résulte une soupe consistante et savoureuse.

D’après un simple apperçu, je crois pouvoir assurer que les prix actuels auxquels se vendent les objets qui constituent cette soupe, peuvent élever la ration au plus à six centimes, y compris le combustible et la main-d’œuvre. Ce taux pourra même baisser quand les denrées diminueront.

À l’égard de la conservation de cette soupe sèche, j’ai assez de données pour prononcer qu’elle pourra se garder en bon état pendant au moins un mois, et comme il n’entre point de viande dans sa composition, je suis autorisé à croire que la moisissure et la puanteur ne peuvent l’atteindre, qu’elle servira un mois après sa préparation, et qu’en s’altérant, ce ne sera qu’une véritable oxigénation qu’elle subira. Or, il existe des cantons dont les habitans font leurs délices du beurre fort et du lard rance.

Il a été unanimement reconnu par ceux qui ont assisté, sans prévention, à la confection de cette soupe, et à sa dégustation, qu’elle présentoit à l’œil, au goût et à l’odorat, tous les caractères d’une bonne soupe, et qu’à raison de la facilité de trouver par-tout les ingrédiens qui la composent, de la promptitude de sa préparation et de la commodité de son transport, elle pourroit devenir, dans beaucoup de cas, d’une grande ressource à l’armée surtout, où l’on manque quelquefois de viande, de temps et de combustible ; que, donnée alternativement avec celle de viande, elle étoit susceptible de soutenir l’estomac du soldat comme elle soutient celui des habitans des montagnes qui en font un usage habituel, en Suisse et en Allemagne ; quoiqu’ils soient occupés aux travaux les plus pénibles de l’agriculture.

Douze onces de cette poudre, formant en tout huit rations, mises dans un pot, dans une boîte ou dans un boyau, peuvent procurer à un soldat de quoi faire la soupe pendant une semaine sans surcharger son équipage, et lui donner en même temps la certitude qu’en arrivant chez l’ennemi, il trouvera, dans les endroits même les plus dénués de ressources, de l’eau et du combustible pour former, dans l’espace d’un quart d’heure, vingt onces d’une soupe substantielle et savoureuse, et d’un goût qui plaît à la généralité des consommateurs.

Ceux qui ont cherché à jeter de la défaveur sur la soupe à l’ognon, ne semblent pas avoir saisi ses véritables avantages. Il y a tout lieu de croire qu’un examen plus approfondi les auroit bientôt convaincus qu’elle ne peut, par sa composition, donner lieu à aucune crainte sur ses effets ; la recette ne demande point de farine de froment, mais celle d’orge, et encore après avoir fait subir à ce grain la torréfaction ; l’ognon qui frit dans le beurre n’y laisse que ses squammes séchées sans aucune humidité, et dont l’odeur et la saveur ont été enlevées par la graisse. Cette soupe, en un mot, est analogue et même supérieure à celle que