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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/633

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patate, par conséquent il ne possède pas la faculté alimentaire au même degré. Ainsi, des trois plantes que nous venons de nommer, elle est la moins propre à remplir les vues économiques sous lesquelles on doit les considérer ; mais, en revanche, elle a l’avantage de ne pas craindre la gelée comme la plupart des autres racines potagères, de pouvoir rester en terre pendant l’hiver, et de n’avoir pas besoin d’être déterrée d’avance pour en nourrir les bestiaux. L’eau que les tubercules contiennent adhère si fortement à la matière fibreuse, que quoiqu’ils acquièrent par le froid la dureté d’une pierre, le dégel ne la désunit point, comme il arrive à la pomme de terre, par exemple, dont l’eau, dans cet état, se sépare par la simple pression des doigts. Cependant si, pour les conserver à la maison, on les laissoit en tas trop épais, ils contracteroient bientôt une disposition à germer ; alors ces tubercules, un peu filandreux, deviendroient encore mollasses et pâteux.

On peut les cuire dans l’eau ou à sa vapeur ; le goût de cul d’artichaut, qu’ils ont plus ou moins sensiblement, fait rechercher les topinambours par les amateurs de ce légume. Pendant l’hiver, on les mange à la sauce blanche ; on les fricasse au beurre avec des ognons ; on en relève la fadeur avec de la moutarde. Mais ils n’ont pu échapper à la manie, qui veut tout convertir en pain, et les tentatives infructueuses n’ont pas laissé la moindre espérance d’en venir jamais à bout ; c’est un aliment dont il faut faire usage en substance : il a plus de saveur que la pomme de terre, et, sous ce rapport, il convient mieux aux bestiaux.

Après avoir lavé et coupé par morceaux les topinambours, on les donne au bétail plusieurs fois le jour : six vaches en mangent jusqu’à six à sept boisseaux par semaine ; mais elles les préfèrent à moitié cuits. On pourroit faire parquer des cochons dans les champs où cette plante auroit été cultivée, comme le pratiquent, pour la pomme de terre, les Anglais et les Américains.

Surpris de ce que, dans la plupart des fermes, on sème des végétaux de toute espèce pour la nourriture des bœufs, des vaches, des chevaux, et des bêtes à cornes, tandis qu’on ne sème rien pour les cochons et qu’on ne leur donne que le rebut de tous les autres, les Anglais désireroient que pour ceux-ci, qui ne font pas moins de profit à la maison, on leur assignât, au moins pour la nourriture d’hiver, un champ soit de topinambours, soit de pommes de terre ; ce seroit alors le moyen d’en entretenir un plus grand nombre, et de profiter de leur fumier.

Le topinambour offre encore une nourriture aux animaux, par son feuillage. On coupe les tiges aux premières gelées blanches, et on les fait sécher comme les feuilles d’arbres dont on fait la feuillée ; alors on les fagotte, et on les arrange de manière qu’elles ne s’échauffent point. Dans cet état, elles servent, pendant tout l’hiver, à la nourriture des chèvres et des moutons.

Nous ne pensons point que la culture des topinambours prenne jamais une grande faveur dans les endroits où celle des pommes de terre est bien établie ; mais il faut convenir qu’elle a quelques avantages sur la dernière, qui ne sont pas à dédaigner. Par exemple, le topinambour est plus tardif que la pomme de terre ; il peut, par conséquent, profiter des pluies d’automne dont elle est nécessairement privée, par l’obligation où l’on est d’enlever aussitôt qu’ils sont mûrs les tubercules, parce qu’à cette époque ils pourroient commencer à germer ou à souffrir du froid : or, le topinambour n’est point exposé à ces deux inconvéniens.

Il paroît que cette culture, bornée à de simples essais, n’a été qu’un objet de curiosité, et que jusqu’à présent il n’y a que M. Yvart qui en ait couvert une certaine étendue de terrain. J’en ai vu plusieurs arpens des plus mauvaises terres de sa ferme, à Maisons, qui annonçoient la récolte la plus abondante ; et j’apprends que cet agriculteur distingué continue à cet égard ses essais, dont on doit attendre les plus heureux résultats. M. Bourgeois cultive aussi, tous les ans, cette plante avec succès, à la ferme impériale de Rambouillet.

Je dois ajouter ici que la plante dont il s’agit a prospéré dans des fonds où la pomme de terre n’a eu que peu de succès.