Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/154

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faveur duquel un effort d'imagination religieuse eût été impuissant. Si, à cette cause d'émotion, se joint la confiance enfantine que ce tableau représente un fait réel, il n'importe que ce fait soit bien ou mal rendu ; du moment que nous croyons le tableau vrai, nous ne songeons pas à nous plaindre qu'il soit médiocrement peint.

L'enfant qui, devant une image coloriée, demande avec une gravité anxieuse lequel est Joseph et lequel Benjamin, n'est-il pas plus capable de recevoir une noble, une sublime impression par le gracieux symbole qu'il revêt de réalité, que le connaisseur admirant les trois figures de Raphaël dans « Le Songe du Chevalier » ? Et, quand l'esprit est tourné vers l'idéal religieux, n'a-t-il pas toujours la noble faculté — que possède surtout l'enfance, mais que la religion peut, dans une certaine mesure, inspirer à tout âge — d'élever, jusqu'au sublime et à la réalité, le plus vulgaire symbole de ce qu'il admet comme une vérité reconnue ?

Depuis la Renaissance, pourtant, la vérité n'a plus été recherchée : l'artiste qui peint un sujet religieux n'est plus considéré comme le narrateur d'un fait, mais comme l'inventeur d'une idée. Nous ne critiquons plus l'esprit dans lequel nous est présenté un fait véritable, mais nous recherchons les défauts de son invention, de sorte que, chez un esprit pieux moderne, l'émotion — qui trouble le jugement — se joint l'incertitude pour le rendre plus sévère. Cette émotion ignorante, unie à la recherche non moins ignorante des défauts, est l'état d'esprit le plus détestable pour pouvoir juger une œuvre d'art, surtout d'art sacré. La foi donnait au peintre vraiment religieux une émotion vraie et une grande simplicité d'expression ; il était souvent moins cultivé, mais plus original dans sa