Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

furent taillés dans leurs blocs transparents, que ses arceaux furent parés des couleurs du prisme : un message est écrit dans leurs veines ; — message jadis écrit dans le sang — un son, dans l’écho de ses voûtes, son qui remplira un jour les voûtes du ciel : « Il reviendra pour juger et rendre la Justice. »

Venise fut forte et puissante tant qu’elle se souvint de cela : la destruction vint dès qu'elle l’oublia ; elle vint irréparable, car Venise ne pouvait invoquer, pour son oubli, nulle excuse. Aucune ville ne posséda jamais une plus glorieuse Bible. Alors que, dans les nations du Nord, les temples étaient remplis d'une grossière et sombre sculpture et d'images à peine compréhensibles, l’Art et les trésors de l'Orient avaient doré chacune de ses lettres, illuminé chacune de ses pages, jusqu’à ce que le Temple-livre brillât au loin comme l’étoile des Mages. Dans d’autres villes, les assemblées du peuple se tenaient souvent dans des lieux éloignés de toute influence religieuse ; elles étaient sujettes à la violence et aux changements : dans l’herbe du dangereux rempart, dans la poussière de la rue agitée furent tenus des conseils et commis des actes que nous sommes quelque-fois enclins à pardonner, sans les justifier. Mais les fautes de Venise furent commises dans son Palais ou sur sa Place, en présence de la Bible qu’elle avait à sa droite. Les murs sur lesquels étaient inscrites les paroles de la Loi n'étaient séparés que par quelques pouces de marbre de ceux qui gardaient les secrets du Conseil ou qui enfermaient les victimes de sa politique. Et quand, dans ses derniers jours, elle rejeta au loin toute honte et toute contrainte, que la Grande Place fut remplie de la folie universelle, souvenons-nous combien son crime fut plus grand pour avoir été commis en face de la maison de Dieu où brillaient les lettres de Sa Loi !