Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/210

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dement, dans la chaleur de la première inspiration, et sur une vaste échelle : elles étaient destinées à être placées là où il était peu probable qu’elles fussent bien vues et elles n’étaient pas richement rémunérées. Les meilleures œuvres furent faites ainsi, dans l’enthousiasme ou l’orgueil d’accomplir quelque chose de grand — comme la décoration complète d’une cathédrale ou d’un Campo-Santo — alors que le temps accordé était limité et les circonstances peu avantageuses.


Les œuvres ainsi exécutées sont peu estimées, à cause de leur abondance et des fréquentes négligences qu’elles renferment ; de plus, par la grande hâte qui caractérise notre époque, elles sont trop vastes pour être déchiffrées sur place ou pour être transportées ailleurs. Elles sont généralement négligées : leurs gardiens les badigeonnent ; les passants les détachent des murs et les insultent ; mais, — avantage qui contrebalance tout ce mal ! — elles sont rarement « restaurées ». Ce qui reste d’elles, tout en n’étant que des fragments, est cependant la chose véritable, sans adjonction nouvelle. C’est ainsi que les plus grands trésors d’Art que l’Europe possède actuellement sont de vieux murs de plâtre effrités où se terrent et se chauffent les lézards et dont s’approchent rarement d’autres créatures vivantes ; des morceaux déchirés de vieilles toiles, dans des coins d’églises délabrées, et des formes humaines ressemblant à des taches de « mildew » sur les murailles de chambres obscures que, de temps en temps, un voyageur curieux fait ouvrir par leur gardien chancelant pour jeter, sur cette chambre, un coup d’œil rapide et la quitter bien vite avec la satisfaction fatiguée du devoir accompli.


Dans le Palais Ducal, les murs et les plafonds peints par Paul Veronese et par le Tintoret ont été plus ou moins