Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/233

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morceaux qu’il lui en fallait et il ouvrait ses fenêtres et ses portes sans aucun égard pour la façon dont leurs lignes coupaient les murs. Dans les enluminures de manuscrits, le fond marqueté était arbitrairement traité pour éviter que sa régularité n’attirât les yeux et ne prît trop d’importance. Et c’était une chose tellement voulue qu’un fond diapré était souvent posé obliquement en face des lignes verticales des dessins, de peur qu’il ne parût avoir le moindre rapport avec elles.


Sur ces fonds rougeàtres ou cramoisis, les séries de fenêtres étaient parfois relevées par un champ d’albâtre et, sur ce blanc veiné et délicat, on posait des disques pourpres et verts. Les armoiries des familles étaient naturellement blasonnées dans leurs couleurs particulières ; — d’ordinaire, je crois, sur un fond de pur azur. On voit encore du bleu derrière les boucliers de la Casa Priuli et sur un ou deux palais qui n’ont pas été restaurés. Ce fond bleu était employé aussi pour faire ressortir les sculptures religieuses. Enfin, toutes les moulures, les chapiteaux, les corniches, les décorations étaient ou entièrement dorés ou ornés d’or à profusion.

La façade d’un palais gothique, à Venise, peut donc être simplement décrite comme une étendue d’un ton roussâtre amorti, coupé par d’épaisses masses de blanc et d’or ces dernières étant adoucies par l’introduction de petits fragments de bleu, de pourpre et de vert foncé[1].


Depuis le commencement du XIVe siècle, époque où s’unirent ainsi la peinture et l’architecture, jusqu’au commencement du XVIIe surgirent deux courants simultanés

  1. Voir et revoir les fonds de Carpaccio et de Bellini. Délicates serait un meilleur terme que épaisses, dans cette définition : le blanc et l’or ne sont parfois que des filets.