Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/260

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gai. Mais elle comprit les jouissances physiques : les ter rasses et les grottes des jardins, les fontaines jaillissantes et les retraites ombreuses favorables au sommeil ; le hall spacieux et les longs corridors contre les jours chauds de l’été ; les fenêtres bien closes et les tentures mettant à l’abri du froid ; le doux coloris des fresques ornant les plafonds et les murs sur lesquels étaient représentés les derniers épisodes de la luxure païenne.

Tel est le genre d’architecture domestique dont nous nous glorifions encore aujourd’hui comme d’un grand et honorable progrès sur les grossières habitations de nos ancêtres, au temps où les parquets du Roi étaient couverts de joncs et où les tapisseries, dans la grande salle du baron, étaient gonflées par le vent.


Il est aisé de comprendre comment une architecture qui s’adressait autant aux plus bas instincts de la bêtise humaine qu’à la vanité de la science fut bien accueillie par la majorité des gens, et comment la pompe spacieuse des nouveaux plans fut adoptée par les voluptueuses aristocraties de Venise et des autres pays de la chrétienté qui commençaient à se grouper dans un isolement insolent et gangrené contre lequel le cri du pauvre résonnait dans un unisson de mauvais augure, pour éclater enfin comme un coup de tonnerre ! Remarquez qu’il éclata tout d'abord au milieu des murs peints et des fontaines écumantes où la sensualité de la Renaissance atteignit, en Europe, son paroxysme — à Versailles — , ce cri si digne de pitié dans sa colère et son indignation : « Notre âme est remplie des reproches dédaigneux du riche et de la haine méprisante de l’orgueilleux ! »