Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/305

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vraie religion que l’homme crût ou ne crût pas à la divinité de l’image païenne, si elle occupait toutes ses pensées ? si la vue d’un éclair évoquait le souvenir de Jupiter et le clair de lune celui de Diane et si, bien que son cœur ne fût que secrètement entraîné, l’homme oubliait le Dieu qui est au-dessus de lui ?

En réalité, cette double croyance du christianisme avoué et du paganisme aimé fut plus fatale que le paganisme lui-même, car elle écartait toute croyance réelle et pratique. Mieux eût valu adorer Diane et Jupiter que de traverser la vie en nommant un Dieu, en en imaginant un autre et en n’en craignant aucun. Mieux eût valu être « un païen nourri dans quelque croyance usée » que de naviguer sur la grande mer de l’Éternité sans voir un Dieu marcher sur les flots, sans entrevoir à l’horizon le monde céleste ?


Ce fatal résultat de l’enthousiasme pour la littérature classique fut hâté et augmenté par la mauvaise direction dans laquelle l’art s’égara ; il ne songea qu’à donner la vie aux croyances païennes, et l’exaltation des facultés humaines, employée jusqu’alors au service de la foi, passa au service de la fiction. L’imagination ayant la bride sur le cou, le terrain des faits manqua sous ses pieds et, après avoir guidé les hommes vers la vérité, elle essaya de leur faire croire le mensonge.

Ses facultés furent gâtées par leur propre trahison ; une par une, elles tombèrent dans le champ du potier. Raphaël, qui avait paru envoyé et inspiré par le ciel pour peindre les apôtres et les prophètes, abaissa sa puissance jusqu’aux pieds d’Apollon et des Muses[1].

Mais ce ne fut pas tout : l'habitude d'employer les plus

  1. Vrai, au point de vue général, mais le Parnasse est la plus grandiose des fresques de Raphaël, au Vatican.