Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/302

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paysage aimé : il faut qu’il ramasse encore cet argent-là. Plus tard, plus tard, quand il sera tout à fait riche et tout à fait vieux, quand il aura ruiné dix concurrents, et triomphé de dix grèves, il s’offrira avec cet argent tout ce que la Nature donne de fleurs, tout ce que l’Art donne d’harmonie, tout ce que la pensée donne de fortes joies, — s’il est encore capable de les ressentir…. Mais il n’atteindra pas cette seconde étape ; car, pour s’offrir tout le luxe de la santé, il ruine sa santé ; pour se réserver les joies de l’esprit, il perd son esprit, et ce que ce millionnaire appelle plaisamment « gagner sa vie », c’est en réalité gagner à grand’peine et à pas fatigués la vieillesse et la mort….

Cette vie pourtant, cette santé, ces plaisirs esthétiques, qu’il a sacrifiés au désir de la richesse, ne serait-ce point là aussi une richesse ? et si l’argent est chose nécessaire, ne serait-ce pas quelque chose de bien nécessaire aussi, pour le manier, que d’avoir des mains vivantes, et pour jouir de la vie enfin, une chose indispensable que de posséder la vie ? « À la croisée des transepts de la cathédrale de Milan, repose depuis trois cents ans le corps embaumé de saint Charles Borromée. Il tient une crosse d’or et porte sur sa poitrine une croix d’émeraudes. En admettant que la crosse et les