Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/319

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occupé de restaurer non ses hardes ni son âme, mais d’abord son estomac.

Car si trop d’industrialisme et de richesse dans un paysage tue la beauté de la Nature, trop de misère dans une ville tue la beauté des corps. Et sans beauté plastique, il n’est pas d’art possible ni de rêves d’art. « Vous ne pouvez avoir un paysage par Turner sans un pays où il puisse peindre. Vous ne pouvez avoir un portrait par Titien sans un homme à portraiturer. Le commencement de l’Art consiste à rendre notre peuple beau. Il y a eu sans doute un art dans des pays où les gens n’étaient pas tous beaux, où même leurs lèvres étaient épaisses et leur peau noire, — parce que le soleil les avait regardés ; — mais jamais, dans un pays où les joues étaient pâlies par un misérable labeur et par une ombre mortelle et où les lèvres de la jeunesse au lieu d’être pleines de sang, étaient amincies par la famine ou déformées par le venin.... »

Pour le corps il faut donc prêcher hautement le culte de la Beauté. Dès la jeunesse, le corps de chaque enfant pauvre doit être rendu aussi parfait qu’il peut être sans aucun égard à ce qu’il fera plus tard. Parvenu à l’âge où il doit gagner son pain, les travaux peut-être déformeront, aviliront, courberont, déjeteront ce magnifique et souple