Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/90

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montre ses diagrammes. C’est, par exemple, une tête de lion d’un sculpteur pseudo-classique, à laquelle il oppose une tête de tigre du Zoological garden, dessinée par Millais. À la vue des contrastes, on éclate de rire. Mais ce n’est point assez : il faut donner une idée pittoresque des choses. Alors le maître se livre : il perd toute retenue. S’il parle sur les oiseaux, il contrefait celui qui s’envole et celui qui se pavane. S’il explique que la gravure est l’art de l’égratignure, il imite le chat donnant un coup de griffe. L’auditoire huerait tout autre que lui, mais on sent qu’il agit sous l’empire d’une idée. Il ne déclame pas : il clame sa vérité, celle qu’il a découverte tout à l’heure : il ne se montre pas, il démontre. Il entasse les observations : il multiplie les arguments. Botanique, géologie, exégèse, philologie, tout lui est bon pour prouver sa thèse. À ce moment il ne plaide plus : il prophétise, et les gens qui prennent des notes renoncent à les coudre entre elles. Il a perdu son plan, mais il a gagné son auditoire. Cette série confuse de pensées claires et ingénieuses, intrigue et subjugue. Est-ce instinct ? Est-ce science ? Est-ce rouerie ? Est-ce génie ? On ne sait, mais on écoule et l’on suit avec joie, quoique dans des cahots perpétuels, cette route qui tourne sans cesse, et, à chaque tournant, nous fait apercevoir une vallée nouvelle,