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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/166

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LA DESPUTIZONS DOU CROISIÉ

Car qui faudra à cele paie
Mauvaisement aura gratei.

« En non dou haut Roi glorieux
Qui de sa fille fist sa meire,
Qui par son sanc esprécieux
Nos osta de la mort ameire,
Sui de moi croizier curieux
Por venir à la joie cleire ;
Car qui à s’ame est oblieux
Bien est raisons qu’il le compeire[1]. »


Explicit

.


  1. Je terminerai mes annotations sur cette pièce en rectifiant plusieurs assertions que Legrand d’Aussy a mises en note de La Desputizons du croisié dans ses Fabliaux. « Rutebeuf, dit-il, paraît avoir voulu montrer au roi les inconvénients de la croisade ; il s’y prend d’une manière fort ingénieuse pour son temps en supposant deux interlocuteurs qui, disputant sur les croisades, étalent ainsi ce qu’on pouvait dire de mieux alors pour ou contre ; mais tandis que l’un n’allègue jamais en leur faveur que des motifs de dévotion, l’autre, déployant contre elles le sarcasme, le ridicule et la plaisanterie, les attaque avec des raisons excellentes. Le dénoûment surtout, le poëte fait prendre la croix au second chevalier, me semble une chose assez adroite : il ne pouvait ménager avec plus de respect la conduite de son souverain ni se mettre plus sûrement lui-même hors de toute atteinte ; mais cette conversion subite, qui d’ailleurs ne détruit pas une seule raison, vient si brusquement, et même elle est énoncée dans l’original d’une manière si burlesque, que, loin de produire quelque impression sur le lecteur, elle ne peut que le révolter.

    « Rutebeuf, quand il vit le monarque rester inébranlable dans sa résolution, changea de ton sans doute pour lui plaire, car j’ai vu de lui quelques pièces où il exhorte très-sérieusement aux croisades. Cette basse flatterie n’eut aucun succès : il paraît par plusieurs endroits de ses poésies qu’il vécut pauvre et miserable. »

    Il y a un peu de légèreté, selon moi, dans les réflexions de Legrand d’Aussy, et la basse flatterie dont il parle est une phrase qui sent un peu son 18e siècle. D’abord je ne crois pas que Rutebeuf ait voulu faire de sa pièce une ironie : elle est sérieuse d’un bout à l’autre ; et penser autrement serait prêter à notre trouvère un système philosophique qu’il ne pouvait pas avoir. Remarquons en effet une chose : c’est qu’il ne raille jamais