Aller au contenu

Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
387
ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

leurs charges de maîtres. Il défend en outre que personne les aille entendre, sous peine de semblable punition, et ordonne (le mot y est) qu’ils soient bannis du royaume de France.

Ces bulles, comme on le pense bien, enflammèrent les esprits, et les Frères accusèrent de nouveau Guillaume de prêcher des choses contraires aux bonnes mœurs. Le roi lui-même attaqua les académiciens, et fit déférer à Rome le livre des Périls. Ceux-ci prirent alors une résolution hardie : au lieu de céder à l’orage, ils choisirent Guillaume de Saint-Amour et ses compagnons de condamnation, auxquels ils ajoutèrent Jean de Gastodelle, recteur anglais de l’Université, et maître Belin Framin, régent ès-arts, pour aller à Rome auprès du pape, non-seulement détruire les calomnies lancées contre l’Université, mais encore démontrer que le livre de l’Évangile éternel était impie, sacrilége et dangereux. On fit immédiatement des quêtes pour subvenir aux frais de cette mission[1], et au mois d’octobre les envoyés se mirent en chemin[2] ; mais les religieux, qui avaient l’avantage de marcher sous une direction unique, avaient été plus prompts, et, tandis que Guillaume et ses compagnons étaient en route, ils firent soumettre le livre des Périls au jugement de quatre cardinaux, qui le condamnèrent, le firent déclarer par le pape inique, scélérat et exécrable[3], et le firent brûler dans l’église d’Agnani.

  1. Il paraît que les quêtes ne suffirent pas, car il est fait mention dans Crevier d’une permission donnée par Innocent IV à Guillaume de Saint-Amour de retirer sur les biens de l’Université les avances faites par lui pour ce procès et d’emprunter, sous l’hypothèque de ces mêmes biens, la somme de 300 livres tournois.
  2. Il est probable que Jean de Gastodelle et Belin Framin furent empêchés par une cause quelconque de faire le voyage d’Italie, car nous savons que quatre des envoyés seulement y arrivèrent, et nous ne trouvons relativement aux deux dont nous venons de parler aucune mention dans les actes de la chancellerie romaine.
  3. Ce qu’il y a de curieux dans la multitude de qualifications données par le pape dans ses bulles, et par les commissaires dans leur rapport, au livre de Guillaume de Saint-Amour, c’est qu’on n’y rencontre pas la seule d’entre elles qui pouvait le faire condamner, je veux dire celle d’hérésie. Guillaume de Nangis a fort bien remarqué ce fait, et il dit dans son histoire que le livre des Périls fut brûlé à Agnani, non propter hœresiam quam continebat, sed quia contrà prœfatos religiosos seditionem et scandala concitabat.