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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/6

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VI
PRÉFACE.

religieux, ce poëte offre dans ses écrits le reflet curieux et exact des préjugés, des passions, du langage, des connaissances de son époque.

Pourtant il n’en est point peut-être sur lequel l’histoire soit restée plus muette ; nul de ses contemporains, poëtes ou chroniqueurs, ne nous a transmis son nom[1]. C’est à peine même si quelques érudits modernes ont essayé de rompre la chaîne de cet injuste oubli ; encore se sont-ils montrés presque tous inexacts ou trop sévères. Ce premier d’entre eux, Fauchet, dans son Origine de la langue et poésie françoises, fait commencer beaucoup trop tôt en ne désignant aucune époque, et finir beaucoup trop tard en fixant l’année 1310, la vie de Rutebeuf ; Legrand d’Aussy suit à peu près les mêmes errements[2], et de plus il traite assez mal notre poëte ; Barbazan et Méon, dans leurs recueils, rapportent diverses pièces de Rutebeuf sans dire un mot de l’auteur ; M. Roquefort, dans son

  1. Ce fait est d’autant plus singulier que les trouvères des 12e et 13e siècles se nomment entre eux à chaque instant et se font des envois réciproques de leurs poésies ; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est que Rutebeuf ne cite aucun des poëtes de cette époque. Il parle souvent du comte d’Anjou, mais nulle part il ne fait allusion à la réputation de chanterie dont jouissait ce prince, (Voyez, pour ce mot, page 47, de mon Rapport au ministre de l’instruction publique, une chanson du comte de Soissons.) Était-ce jalousie ? la division régnait-elle alors comme aujourd’hui parmi ceux qui cultivaient les lettres ? Nous l’ignorons ; mais nous devions faire remarquer le silence réciproque de Rutebeuf et de ses rivaux.
  2. Voyez les Fabliaux de Legrand, t. II, page 217. édition Renouard, et page 463 de notre 1er volume.