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Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/9

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IX
PRÉFACE.

croyance. Si Rutebeuf fût sorti d’une de nos provinces on n’eût point manqué de trouver dans son langage des traces de cette origine, et il eût employé tout naturellement, comme ont fait les trouvères artésiens ou flamands, un grand nombre de termes propres au pays dans lequel il aurait été élevé : eh bien, ce poëte au contraire est partout un écrivain puriste, il parle la langue romane du centre (celle dont on se servait à Paris), et l’on ne rencontre nulle part chez lui les lourdes terminaisons normandes ou les traînantes et tristes accentuations picardes. J’insiste d’autant plus sur ce point que c’est là une qualité rare, et que Paris, alors comme aujourd’hui, était pour la langue ainsi que pour le reste le foyer central du bon goût et du progrès[1].

Maintenant quelle profession exerçait notre héros ? Hélas ! il était trouvère, c’est-à-dire assez misérable, ce qui semble un apanage éternellement constitué aux poëtes par le destin. Il ne paraît pas, du reste, avoir été vielleur ainsi que Colin-Muset[2], faiseur

  1. Pasquier l’a fort bien fait sentir en disant de Villehardouin, qui était Champenois, qu’il a écrit selon le ramage de son pays, paroles que lui a vivement reprochées le Champenois M. Paris. Jean de Meung, l’auteur du Roman de la Rose, nous prouve par les vers suivants qu’à son époque on appréciait aussi la qualité que je fais remarquer dans Rutebeuf :

    Si m’excuse de mon langage,
    Car ne suis pas de Paris…
    Mais me rapporte et compère
    Au parler que m’apprit ma mère.

  2. Voyez la chanson dans laquelle celui-ci dit qu’il vielloit devant les hosteis, page 10 du présent volume.